Edwin & Sheena => Je ne suis ni marionnette ni pantin. Non. Je suis un hochet.
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Sheena T. Jackson
◭ messages : 1772 ◭ arrivé(e) le : 27/12/2013
Sujet: Edwin & Sheena => Je ne suis ni marionnette ni pantin. Non. Je suis un hochet. Sam 28 Déc - 1:07
Edwin & Sheena
« Edwin & Sheena => Je ne suis ni marionnette ni pantin. Non. Je suis un hochet.! »
Si je tiens bien l’alcool, je n’en maîtrise pas les effets. Je souffre d’une forme sévère et douloureuse d’hémorragie verbale. Chaque mot franchissant la barrière de mes lèvres est un supplice pour mon cœur et mes oreilles. Le premier succombe sous le joug de la peur, les secondes sous le poids des regrets. Je sers mon affliction à mon amant sur un plateau d’argent. Je lui tends le bâton pour me battre et si je titube en me levant, mes angoisses prêtent main-forte aux affres de l’alcool. Quelle plaie que ce dévastateur bordeaux ! Il me rend aveugle au désarroi pourtant manifeste d’Edwin. Edwin qui, d’un murmure malaisé, m’invite à le suivre vers les jardins décorés en l’honneur des mariés. Et moi, telle une poupée de chiffon dépourvue de volonté propre, je le suis. Je lui emboîte lentement le pas, percluse par la harassante certitude que nous signons la fin d’une histoire cousue d’avance d’un fil ténu, usé et prêt à casser. Au contraire, nous ne serions pas là, au milieu de ces hypocrites qui chantent salamalecs et pensent divorce. Nous n’aurions pas bousculé les règles de notre jeu qui n’a plus rien de grisant à présent. Son but, désormais, est de peindre mesquinement l’autre dans ce qu’il a de moins beau, de moins bon, de moins flatteur.
Ainsi, je découvre une facette de ma personnalité dont j’ignorais jusqu’à l’existence : je suis une égoïste. Paraît-il que je suis une égocentrique, une femme capricieuse qui se contemple le nombril en oubliant ses semblables, une égotiste qui se complait dans le culte du moi, une narcissique qui parle de ses peines comme si elles étaient légions. Que dois-je comprendre ? Qu’il lui arrive, lui aussi, d’avoir mal ? Que je suis la cause de quelque tourment en son palpitant ? Qu’il embauma ses révélations précédentes d’aucun mensonge ? Me voir me pavaner au bras d’un autre n’aurait vraisemblablement pas mutilé que son égo ? Suis-je naïve de le croire ? Suis-je trop crédule ? Suis-je en train de comprendre ce qu’il me tarde d’entendre ? Ce que je rêve de lire dans ses yeux ? Ses yeux à l’accoutumée si laconiques, ses yeux dans lesquels je plonge et que je découvre, pour la toute première fois, étrangement éloquents. Il n’est plus de voile opaque qui m’empêche d’y déchiffrer quelconque émotion. Ils sont nus, brillants de colère, de désarroi ou d’amertume. Qu’en sais-je, hormis l’absence étonnante d’indifférence ? Aussi, j’ignore que répondre et, durant un instant, je reste sans voix, écrouée à un silence qui me ressemble peu. Je souhaiterais crier que je ne suis pas celle qu’il décrit, que j’essaie simplement de me protéger de lui, de moi, de cet amour grandissant qui m’inonde à chaque instant. Or, je me tais. Je tais cette vérité honteuse, cette vérité qui le pousserait à me fuir de son propre chef.
Effarée par son monologue, je baisse la tête, je donnerais beaucoup pour faire machine arrière et renoncer à chasser cet homme de ma vie. Pour que faire ? Ne pas l’aimer ? C’est trop tard. Refuser de subir ses audaces ? À quoi bon, je souffre déjà ? Essuyer plus de défaites que de victoire ? J’ai encore perdu. En tombant amoureuse d’Edwin, mon cœur a choisi le risque à la raison. Quant à cette dernière, son combat éperdu est cousu d’avance. Pourtant, tant que le jeune mannequin demeurera appuyé contre ce mur de briques, il me reste l’espoir fou de justifier mon propos acerbe par la consommation abusive de vin rouge. Dieu que la bouteille me manque. Elle m’aiderait à faire passer la pilule douloureuse. Apprendre – et accepter – que je suis la seule instigatrice de cette déconcertante situation est aussi pénible qu’un repas paroissial. « Arrête, s’il te plait. » le suppliais-je en soupirant. « Tu dis n’importe quoi en plus. À t’entendre, on croirait que les choses sont faciles, mais c’est tellement plus compliqué que ça. Tellement plus, et tu n’en as même pas conscience. » Mes mains moites glissent sur mes traits défaits tandis qu’il persiste à m’asséner uppercut et coup droit verbaux. À quel moment ai-je baissé la garde ? Bon sang, que j’aurais aimé qu’il m’entende et se taise, qu'il me comprenne et me serre dans ses bras, qu’il saisisse le sens caché de ma diatribe et qu’il me rassure de l’un ou l’autre mots doux. A contrario, il quitte son appui, murmure un Adieu et il s’en va.
Il s’en va dans l’obscurité de cette nuit froide éclairée romantiquement de lampions. Littérairement, c’est parfait. Parfait et cruellement digne d’un roman de Goethe. « Qu’est-ce que tu fais ? » lui lançais-je perplexe tandis que, machinalement, je réceptionne la bouteille qu’il me tend. « Edwin. Où tu vas ? Reviens. Je… » Pathétique balbutiement. Mais, qu’est-ce qu’il me prend ? Ai-je vraiment envie, une fois encore, de ramper à ses pieds ? Hors de question. N’est-ce pas déjà moi qui lui courut après sur le parking d’une boîte de nuit ? Ce soir-là, ne l’ai-je pas suppliée de ne pas m’abandonner ? De me pardonner mes excès ? De m’emmener au plus loin des curieux pour une folle nuit blanche ? N’est-ce pas moi qui, lors d’une fete organisée chez l'un de ses amis, l’empêchai de me fuir pour, une fois de plus, me rependre de mes crises de jalousie déplacée ? Ne venais-je pas d’apprendre l’existence de Jewell dans sa vie ? Dans son cœur ? Dans son lit ? Quand bien même suis-je sur le point de pleurer, mon amour-propre ne s’abaissera pas à cette contingence. Aussi, avalais-je une longue gorgée de ma bouteille et ai-je tourné les talons en quête de réconfort.
Marmonnant des injures que nulle ne peut entendre, des horreurs dédiées à l‘absent, j’ai cheminé, titubante, sur le sentier éclairé menant à la salle. J’aspirais à un visage ami, un visage qui me soulagerait avant que cette larme naissante ne roule de ma paupière à ma joue. Malheureusement, il n’est nul Dieu pour les pécheresses de mon espèce. Ma route se jalonne d’une vérité pressentie : un couple heureux roucoule sous un vieux chêne et je ressens une envie malsaine. Qu’ai-je fait au monde pour mériter ma solitude ? Ne suis-je faite que pour être misérable ? Le bonheur des autres, serait-ce mon châtiment ? Le signe irréfutable qu’il est temps – grand temps – que je me range dans une case ? J’ai tout gâché. Absolument tout. Quand bien même n’ai-je aucune stabilité à espérer avec Edwin, au moins il était là. En sa compagnie, je me sentais plus vivante que jamais. Plus belle et plus désirable également. Sans lui, je ne suis qu’une insignifiante idiote, égoïste, narcissique, pathétique et inepte. « Putain, mais je suis trop con. Vraiment trop con. » m’exclamais-je en tapant du pied. « Euh… tout va bien ? » s’inquiète alors une avenante étrangère de plus ou moins mon âge. Surprise par son amabilité, je la dévisageai un instant quand, mue par un soudain courage, j’ai ôté mes talons pour les lui tendre. « Tu peux me tenir ça s’il te plait ? Je reviens. Et ça aussi… » Je lui cédai ma bouteille, non sans avoir bu une dernière gorgée. « Si ça te dérange, dépose-les n’importe où, je les retrouverai bien. Merci… » Et j’ai couru, pieds nus, aussi vite que j’ai pu. J’ai couru à en perdre haleine jusqu’au parking, fouillant l’horizon de mes pupilles embuées de larmes espérant apercevoir le rouge écarlate de sa voiture de luxe. Mon instinct me jurait qu’Edwin n’aurait pas encore pris la tangente, qu’au contraire, il fumerait une cigarette pour se détendre avant de rentrer chez lui ou chez Jewell. L’idée m’écœure autant qu’elle me tue. L’imaginer dans ses bras, c’est ma torture chinoise, une goutte d’eau qui tombe inlassablement sur le front d’un condamné à mort. Dès lors, quel soulagement de l’apercevoir là, entre une vieille Corvette et sa Porsche flamboyante.
Si j’ai souri à mon image dans le miroir d’un rétroviseur, si j’ai replacé mes cheveux contrariés derrière mes oreilles ornées de longues boucles dorées et si je ne m'estimais pas outrageusement standard totalement déchaussée, je n’y ai prêté guère attention. Je préférai rassembler mon courage pour franchir les derniers mètres qui me séparent de lui. Or, une main fébrile approchant de son épaule, ce qui m’apparut plus tôt comme vital m’enserrerait déjà le cœur d’une angoisse ronflante. Je pourrais renoncer et m’enfuir. Peut-être même l’aurais-je fait si j’avais été certaine que je n’aurais nullement regretté ma fuite. Rien n’étant moins sûr, je suis entrée en scène. Je me suis lancée dans l’arène, faussement résolue. « Edwin. » Très vite, son parfum a chatouillé mes sens et avant de parler, j’ai dû ravaler cette envie de pleurer grossissant dans ma gorge. « Tu as raison, tu sais. Je réagis comme une égoïste. Mais, comment j’aurais pu deviner que ça te blesserait de me voir avec lui ? Tu ne dis jamais rien. Tu attends de moi que je devine toujours tout. Mais, je ne peux pas tout savoir moi Edwin. D’autant que tu n’avais pas besoin de venir avec ma cousine pour me rendre jalouse, je brûle déjà de jalousie. Tu crois que c’est facile pour moi ? Tu crois que je vis bien ton histoire avec Jewell ? » Mon discours, à mi-chemin entre l’inepte et le sensé, s’emprunte doucement d’irritation « Je me fous que tu sois un séducteur Edwin. Tu as raison, je le savais. Et je m’en fous de souffrir parce que tu m’abandonnes dans un hôtel ou que sais-je encore. Mais, tu n’imagines pas comme c’est douloureux de ne plus jamais penser à toi qu’en t’imaginant avec elle. » Si je m’interromps, c’est que le timbre de ma voix n’est plus que le trémolo d’un sanglot. « Je pouvais penser à toi et t’imaginer avec n’importe laquelle de tes conquêtes, je pouvais même t’imaginer en train de les draguer et te voir avec elle que ça ne me bouffait pas comme ça. La, rien que de penser que tu vas rentrer chez toi, qu’elle t’attendra sûrement, qu’elle te fera couler un bon bain parce que ta soirée a été difficile, qu’elle viendra te rejoindre et t’assommera de sobriquets aussi ridicules que mielleux… Mhh » terminais-je avant de poser une main fébrile sur mon menton tremblotant. Il ne s'agit plus d'un trémolo désormais, ce n’est plus quelques gouttes d’eau le long de ma joue, je pleure à gros bouillon. Je pleure et je tente de me cacher, lui tournant le dos quand mon corps est pourtant agité de sanglots. « Je préférais quand je ne savais rien…ça me rend malade. » tentais-je une dernière fois en essuyant mes paupières.
Toujours là. Des doigts joueurs faisant tournoyer une cigarette à peine commencée, de la fumée virevoltant dans les airs après avoir franchi la maigre barrière de lèvres entrouvertes, des lampadaires éclairant d’une lumière tamisée un parking à la fois glauque et morose. Piètre spectacle. Bien piètre spectacle pour un homme comme Edwin, fier, hautain, le menton relevé et le sourire laconique. Là, au beau milieu de ses voitures mal garées, prêt de sa Porsche flamboyante ridiculisant les autres véhicules de sa superbe, Edwin avait perdu la sienne. La tête basse, les yeux scrutant le sol comme pour y découvrir quelques morceaux de son cœur en miettes, la cigarette se frayant un chemin douloureux jusqu’à ses poumons où elle déversait son poison indolent, il avait pris l’aspect d’un contre-héros des temps modernes, un être ridicule, vulgaire, absurde. Et Edwin ne pouvait tolérer de demeurer un être ridicule, vulgaire, absurde. Il se releva, jeta les restes de sa cigarette qui acheva de se consommer sur le sol à peine humide et, l’esprit en alerte, le visage de nouveau relevé, il glissa sa main sur la portière. Prêt à ouvrir. Prêt à partir. Loin, très loin de ce semblant de mariage, à mille lieux des Jackson, qu’il s’agisse d’April, de Lloyd et surtout, surtout de Sheena. Il allait reprendre sa dignité, se draper à nouveau de sa fierté pour ne plus jamais se mettre à nu devant une femme. Oublier la douleur, la tristesse, les éclats de voix de son cœur. Rentrer chez lui, profiter d’un bon verre de whisky, admirer le liquide ambré se pavaner sous ses yeux en lui rappelant la détresse qui était sienne. Non, il allait plutôt se ruer chez une femme, n’importe laquelle, une de celle qu’il avait déjà connu auparavant et qui lui apporterait, à défaut de réconfort, au moins un petit instant de bonheur au septième ciel. Il allait redevenir Edwin Fitzwilliam Chester. L’homme arrogant, capricieux, narcissique, le manipulateur, le séducteur de ses dames, l’ami pathétique et l’être allergique aux responsabilités de toutes sortes, à ses sentiments qui le rendaient faibles, si faibles. Non, il n’avait plus de sentiments. Ils avaient disparu, petit à petit, à chaque pas qui l’avait séparé de Sheena pour la dernière fois. Chaque geste l’avait dépouillé de son cœur, et ses sentiments, autrefois tant exécrés, s’étaient fait la malle pour ne plus laisser qu’un corps vide, sans âme, sans but. Une carcasse hors de son cimetière.
Il allait appuyer sur la poignée dans l’unique espoir de rentrer chez lui, de choisir une conquête, de s’abandonner dans des bras étrangers. Il s’y apprêtait lorsqu’une main délicate effleura son dos, lorsqu'il entendit une voix non loin de lui. Si près, si près même qu'il aurait pu imaginer le souffle de Sheena caresser délicatement sa nuque. Une voix féminine, qu’il connaissait si bien désormais. Une fois qui lui transperça le cœur lorsqu’elle osa prononcer son nom. Edwin. Il se retourna, tous ses espoirs de fuite définitivement remisés dans ce placard poussiéreux par la simple vue de la jolie blonde au sublime regard bleuté, aux pommettes hautes et délicates, à la bouche appétissante qui semblait elle aussi l’appeler de son nom, cette femme extraordinaire et étonnante, imprévisible et superbe qui lui faisait face. Ses yeux humides n'enlevaient rien de sa beauté, pas davantage que le simple fait de sa présence. Ils venaient de se dire adieu, mais pourtant, elle était de nouveau là, rivant son regard incertain sur un Edwin en proie à l'incompréhension. Bourré d'incertitudes, de doutes, de peur aussi. Une peur irrationnelle qui s'amusait à lui tordre les entrailles, à lui bourriner le ventre, à lui donner la nausée et à faire flotter un foutu nuage sombre au-dessus de sa tête mise à prix. Seule Sheena pouvait s'en emparer. Et, lorsqu'elle prit subitement la parole, de sa voix devenue rauque et brisée, Edwin eut alors l'absolue certitude qu'elle ne se gênerait pas. C'était à son tour, dorénavant, de laisser éclater les reproches, blessants, les amères déconvenues qu'il avait amené sur son passage, et toutes ces choses odieuses, si difficiles à dire qu'à entendre, que le poids de l'alcool rendait nettement plus simple à admettre. Lui-même avait eu son instant. Il ne regrettait aucune parole qui s’était échappé de ses lèvres tel un flot ininterrompu de vérités enfin balancées. Sans doute en avaient-ils besoin. Pour se dire au revoir. Ou, peut-être, oui, peut-être aussi pour redémarrer une relation sur de meilleures bases, plus solides et plus saines. Futile espoir d’un homme naïf. Et pourtant, qu’Edwin puisse être qualifié de la sorte relevait du paradoxe suprême. De l’absurdité. De la connerie. Aucun d’eux ne méritait ce qui leur était arrivé, cette soirée gâchée par deux présences peu véritablement souhaitées, dans le fond, qu’il s’agisse d’Orphée et d’April. Ces deux-là n’avaient été que des pantins soumis au désir de leur maître. Les raisons qui les avaient poussés à accepter cette futile invitation, en revanche, demeuraient sans réponse. Mais en tout cas, ils étaient venus, orchestrant de leur simple présence une déchéance fatale et inévitable. Une chute de plusieurs kilomètres. Quelle stupidité ! Deux êtres trop fiers, trop arrogants, trop cons pour admettre l'illustre évidence. Deux personnes que tout semblaient lier, même leur peur ardente de l'attachement, des sentiments, de... de l'amour. Peut-être était-ce dans cette cave obscure que se cachait leur terreur, cette cave qui, tant qu'elle demeurerait ouverte, les empêcherait d'imaginer le moindre avenir.
Rendu muet par sa présence, la main toujours sur la poignée de la portière mais le corps tourné vers la nouvelle venue, Edwin écouta. L'esprit soudainement alerte, l’œil pétillant et peureux, la gorge nouée par cette sorte de boule obscure appelée Appréhension. Il craignait ce qu'elle pouvait dire, les horreurs qui pourraient sortir de cette jolie bouche pourtant si douce, pourtant si savoureuse, si délicate. Il ne doutait pas de sa capacité à s'avérer odieuse et détestable, il n'imaginait simplement pas qu'un jour, cela puisse se retourner contre lui. Et là, mis devant le fait accompli, incapable de fuir, incapable de parler, incapable de faire le moindre geste, il était plus minable que jamais. Un pauvre erre, soumis aux caprices de sa dame.
Ses yeux s’agrandirent. Elle parlait, certes, mais ses paroles, bien différentes de tous les scénarios qu'Edwin avait imposé à son esprit bouillonnant, lui semblaient toutes droites sorties d'un autre monde, d'une autre femme, d'une autre bouche. Elle lui donnait raison.. Raison ?! Sheena, la grande Sheena perdait elle aussi de sa superbe dans ce parking en proie à la nuit tombée. Pour une fois, sans doute la première depuis qu'Edwin avait eu l'honneur de la connaître, Sheena s'avérait vaincue. La suite de son discours, pourtant, nuançait son propos. Mais le thème de la soirée, au delà du désastre, s'avérait être la surprise. Cette jeune femme tout droit sortie du ventre de la mauvaise foi, élevée par l'arrogance, nourrie par les manigances et le double jeu mais surtout, fervente adoratrice du rôle crée sur mesure, cette jeune femme là se défaisait ici de tous ses artifices sous les yeux innocents de quelques voitures endormis et sous ceux, bien plus éveillés, pétillants même, d'Edwin. Elle lui relatait sa jalousie, mordante et pernicieuse, ses difficultés à cerner tous les atours d'un caractère masculin à l'apogée du complexe. Sheena lui avouait ce qui troublait son cœur, elle se défaisait de cet étau douloureux à mesure que les larmes coulaient sur ses joues, que son menton tressautait sous le coup de la tristesse et de la douleur. En prononçant ses derniers mots, elle se retourna, offrant à un Edwin surpris et blessé un dos agité par des pleurs sincères et troublants.
Le silence accueillit leur détresse. Un silence lourd, dur, éternel. Un silence qui témoignait d'une sincère douleur, mais surtout, d'un homme cueilli par le mutisme. Un homme qui ne l'était jamais, pourtant. Lorsqu'Edwin reprit la parole, sa voix était douce, posée, comme s'il tâchait d'avoir en son sein assez de force pour deux. « Je t'ai souvent fait part de mon affection à ton égard, tu le sais ça. A moins que tu n’aie jamais voulu l'entendre. Te voir avec... -il ne prononça même pas son nom, sans doute incapable de conserver alors la voix posée qu'il avait réussi à adopter- avec ce type dont la photo orne ta chambre.. Comment est-ce que t'as pu penser que ça ne me rendrait pas jaloux ? Et puis non, ce n'était pas de la jalousie. C'était de la haine, une haine pure et viscérale, quelque chose de brûlant, d'incontrôlable. Tu m'as rendu fou. » Il soupira une grande fois, lâcha enfin la poignée de sa voiture. Il ne fuirait pas, il ne fuirait plus. Sheena était parvenue à mettre des mots sur sa douleur, il devait au moins lui faire l'honneur de lui rendre la pareille. Elle le méritait, autant, sans doute, qu'elle méritait son amour. Avec une tendresse sans commune mesure, il laissa glisser son doigt le long de sa joue, essuyant les larmes qui y coulaient encore. Elles n'opposèrent que peu de résistance. Il se rapprocha d'elle, jusqu'à ce que leur deux corps se frôlent. Il n'avait le droit qu'à son dos, mais il devait lui faire comprendre qu'il était là. Qu'il l'était et que, tant qu'elle le souhaiterait, il le serait toujours. Alors, son doigt enfin parvenu jusqu'à son menton tremblotant toujours, il la força délicatement à relever le visage. A le regarder. Leur deux visages en obliques, les yeux dans les yeux, simplement éclairés par les feux amers d'un lampadaire au-dessus d'eux, Edwin laissa une nouvelle fois à la nuit son silence. Un silence plus court, cette fois, plus réconfortant, un silence qui lui permettrait de sécher ses larmes et de recouvrer son calme. « Elle n'est rien. -une fois de plus, il ne prononça pas son nom, laissant somnoler quelque temps la jalousie de Sheena- Je ne cesse de te le répéter, mais tu ne comprends pas. C'est à toi que je réserve mes pensées. A toi seule. Pour toi, je peux la quitter. Elle ne me manquera pas. Ce ne sera pas non plus une perte.» Difficile à croire qu'Edwin avait refusé de faire un choix quelques jours auparavant. Mais là, là alors que Sheena avait enfin avoué ce qui troublait son âme, alors qu'elle ne lui avait rien imposé d'irréparable, alors qu'il s'était montré le seul maître de ses choix, il savait qu'il prenait la bonne décision. Il en était persuadé. Seulement, cela ne suffirait pas. Il lâcha son menton pour aller se planter devant elle. Cette fois, sa voix avait pris la teinte d'un avertissement fraternel. D'une douce protection devant l'inévitable chute, l'absolue désillusion. « Je ferais cela pour toi. Mais je ne suis pas prêt à abandonner ma vie, tout ce qui fait de moi... moi. La fidélité ne m'apportera jamais rien de bon, du moins pour l'instant, et je finirais par te haïr de m'avoir privé de mes ailes. »
Edwin se rapprocha d'elle. Un pas, simplement. Une main glissée sur son visage, sur sa joue, une main qui y trouvait sa place bien mieux que nulle part ailleurs. Mais une main qui rêvait aussi d'autres joues, d'autres places, d'autres rencontres. D'autres expériences. Ainsi était Edwin. Le priver du fondement son existence ne rimait à rien. Alors, il ne serait plus Edwin, et Sheena perdrait sans doute les sentiments qui semblaient poindre en elle. Elle était tombée amoureuse de cet Edwin là, hautain et fier, manipulateur et séducteur, et s'il changeait, sans doute perdrait-il de son attrait. Oui. Délicatement, simplement, naturellement, il rapprocha son visage du sien, déposa le plus tendre des baisers sur ses lèvres au goût salé. « J'aurais été prêt à t'imposer ça, cette attente, ces autres femmes, il n'y a pas deux heures. Mais maintenant, j'ai compris. J'ai ressenti cette jalousie dévorante, et je ne la souhaite à personne. Surtout pas à toi. » Alors quoi ? Rien. Il offrit de nouveau au silence le droit de s'imposer au milieu de leur couple atypique, digne des pires drames romantiques du cinéma hollywoodien. Il se tut, son regard vrillé dans celui de Sheena, laissant retomber brutalement sa main sur son jean. Une main encore chaude de ce visage féminin qu'il imaginait si souvent, en songe.
Sheena T. Jackson
◭ messages : 1772 ◭ arrivé(e) le : 27/12/2013
Sujet: Re: Edwin & Sheena => Je ne suis ni marionnette ni pantin. Non. Je suis un hochet. Lun 30 Déc - 22:59
Edwin & Sheena
« Edwin & Sheena => Je ne suis ni marionnette ni pantin. Non. Je suis un hochet.! »
Paraît-il qu’un soir d’octobre, dans un autre parking – un autre plus malfamé, moins éclairé – j’aurais juré à mon cœur que jamais plus il ne s’ouvrirait d’une plaie amoureuse. À l’époque, Orphée me quittait comme un lâche, avec pour seule explication le spectacle horrifiant de ces frasques adultères. Pas un mot. Pas une explication. Mes heures impatientes n’y ont rien changé. Alors, j’ai protégé mon coeur des dangers de l'amour. Plus un sanglot ni un chagrin du même nom. Pas même un battement cadencé pour un tango endiablé. Le vide de sentiment pour un outrageant plaisir. Alors, puisque aujourd’hui j’ai failli, mon palpitant gueule. Il me rappelle ces promesses violées pour un bourreau aux lèvres mielleuses, aux mains délicates, aux yeux sévères, mais aux caresses duveteuses. Il réclame réparation pour cette haute trahison, mais je me sens impuissante. Je n’ai pas l’étoffe de ce bourreau qui, non content de me tatouer au fer rouge, assassine ma dignité de son silence insultant. Comment fait-il pour rester maître en toutes circonstances ? Si des lions souhaitaient trinquer à sa perdition, ils se délecteraient plutôt de la mienne. Alors, honteuse, je prends finalement la décision d’abandonner la partie. Je choisis de lui céder la victoire, non pas d’une bataille, mais de notre guerre puérile. Quel gâchis !
Bien sûr, en l’interpellant, j’ai soupçonné le troc de son indifférence à mon sort pour un peu de compassion. J’aurais même accepté cette détestable pitié s’il n’avait été capable de plus. Force est cependant d’admettre que son humanité est somme toute relative. Cette lueur d’inquiétude et d’affection traînant dans le fond de son œil, je l’ai moi-même inventée, par naïveté, par besoin, par nécessité. À trop me surestimer, je me condamnais au bagne. Alors, puisque j’ai mal, puisque je souffre, puisque mon orgueil n’est plus qu’un terrain de ruine, j’agirai bassement en m’apprêtant à m’enfuir d’un pas, puis d’un autre. Lent. Très lent. Un autre interrompu par sa voix enjôleuse de charmeur de serpent. Son timbre chaud et rassurant anesthésie toute ma volonté et me retient prisonnière du peu d’espoir qu’il me reste.
Évidemment, motivée par la colère de mon cœur, je songe à filer à l’anglaise sans demander mon reste. Pourtant, je reste là, penaude et quinaude, captive de mes sentiments et de ses propos aussi rassurants qu’inquiétants. Qu’essaie-t-il de dire exactement ? De quoi parle-t-il ? À quoi rime-t-elle cette affection intangible dont il parle sans cesse ? Et, cette jalousie qu’il rapporte à la haine, comment se justifie-t-elle ? En a-t-il seulement la moindre idée ? Ai-je le droit de lui poser la question ? Se les pose-t-il, lui, les bonnes questions ? Cherche-t-il à traduire avec des mots ces sentiments qui l’assaillent ? J’en doute, vraiment. A contrario, il ne se contenterait pas du frôlement timide de nos deux corps, il ceindrait ma taille de ses bras forts pour me retenir à lui. Il ne tarirait pas non plus mes larmes d’une futile caresse, il m’embrasserait sans pudeur et sans retenue. À défaut, il m’intime obligeamment à confronter mon regard délavé au sien, moins dure qu’à l’accoutumée, plus tendre qu’à l’habitude.
Tous deux engoncés dans un silence lourd d’un sens inconnu, nous semblons, tour à tour, chercher dans le regard de l’autre de quoi soulager cette palpable détresse. Qu’attend-il de moi ? Que je prenne la parole ? Que je lui confie que, si j’ignorais les conséquences de la présence d’Orphée à mon bras, je les ai espérées de tout mon cœur ? Que je regrette à présent ? Que le dénouement de ce drame romantique est plus funeste que dans mes chimères ? Que veut-il, mon bellâtre ? Qu’attend-il de moi ? L’aveu franc de mes sentiments ? Jamais. Jamais mes lèvres ne s’arrondiront pour un J. jamais ma langue ne claquera sous mes dents pour un T. jamais. Jamais je ne prendrai le risque insensé de l’effrayer pour si peu de choses. Edwin m’est salement indispensable aujourd’hui. Pourtant, malgré la douceur de sa diatribe, une angoisse profonde et sinueuse me tiraille toujours l’estomac. Mauvais pressentiment. Au terme de cette rencontre, nous ne serons plus les mêmes. Nous serons plus distants, plus méfiants, perpétuellement sur nos gardes pour des raisons qui ne seront propres. Personnellement, je craindrai simplement de m’en éprendre au point d’être incapable de le cacher, je m’inquiéterai sans cesse de ses motivations ou de ses absences. Je souffrirai de ces explications laconiques qui laissent trop d’espace à l’interprétation. Je m’interrogerais sur ce choix soudain de quitter sa copine, pour moi, quand il refusa quelques jours plus tôt. Sur ce baiser trop chaste qu’il m’offre et qui laisse sur mes lèvres le goût amer de l’inachevé. Un baiser qui, selon mon point de vue, signe la fin de notre aventure.
Soudain, tout s’éclaire. De son monologue à sa douceur, tout devient plus clair. Edwin me calme pour mieux m’abattre, mais cette fois, je ne pleurerai pas. Non. Je ne sangloterai pas, pas même pour laisser exploser ma colère. Je le repousserai gentiment, ni plus ni moins, sans violence, sans brusquerie. De mon ressentiment n’est perceptible que ce manifeste froncement de sourcils. « Alors, c’est tout. » commentais-je en hochant la tête, dépitée. « Mais alors, pourquoi tu la quitterais hein ? Pour moi ? Alors que tu me fais clairement comprendre que, sous prétexte que tu as toi-même été jaloux, tu veux me protéger de ton infidélité ? Mais, pour être infidèle à quelqu’un Edwin, il faut prendre une place dans sa vie. Une place officielle j’entends. Pas une place comme la mienne. Qu’est-ce que tu crois ? Que t’entendre parler d’affection et de jalousie fait de moi une privilégiée ? Et où ils sont mes privilèges Edwin ? Montre-les-moi parce que je ne les vois pas. » J’ai soupiré tandis que mon âme pleurniche. « À moins que tu ne considères cette jalousie ellle-même comme le privilège. OK. Alors, parlons-en de cette jalousie. Tu crois la connaître, c’est ça ? Tu crois la connaître assez bien que pour t’accorder le droit de m’en protéger… Mais, c’est quoi la jalousie Edwin ? Tu m’as juste vu avec mon ex. Tu ne l’as pas entendu m’appeler mon cœur et il ne t’a pas accueilli chez moi comme s’il était chez lui, à moitié nu… Non. Tu ne sais même pas si je couche avec Orphée ou pas. Tu ne fais que supposer. Et, dis-moi, tu as pensé à quoi d’autres Edwin, en me voyant avec lui ? Je t’ai rendu fou. OK. Mais comment ? À quel point ? Et qu’est-ce qui t’a rendu fou ? Imaginer qu’Orphée, que j’ai aimé profondément, tellement profondément qu’il m’a définitivement changée, ait réveillé des sentiments enfouis en moi depuis longtemps ? Qu’il a eu le droit de me bander les yeux ou de m'attacher les mains avec un foulard au montant du lit ? Tu crois que ça a été agréable ? Incroyable ? Démentiel ? Mieux ou moins bien qu’avec toi ? Est-ce que tu te les poses toutes ces questions Edwin ? Avant de me parler de fidélité et d’affection, ont-elles seulement effleuré ton esprit ? Est-ce que tu brûles de connaître les réponses ? Est-ce que ça te rend malade ? Est-ce que ça te poursuivra tout à l’heure, quand tu rentreras chez toi ? » lui sifflais-je sans animosité. « Parce que, si ce n’est pas le cas Edwin, si tu n’as pas songé à tout ça, si ça te bouffe pas de l’intérieur, alors tu n’as pas le droit de prendre de décision à ma place. Tu n’as pas le droit de vouloir me protéger parce que tu es un infidèle chronique. Tu ne sais même pas ce que j’attends de toi. Tu ne cherches même pas à le savoir. Je ne t’ai pas demandé de quitter Jewell pour prendre sa place et te tenir en laisse comme un toutou, je voulais juste que tu me donnes une bonne raison de croire en cette affection dont tu ne cesses de parler. Je devrais la considérer comme acquise, un nouveau privilège. Mais, elle rime à quoi ton affection ? Tu n’as même pas confiance en moi, tout ça parce que tu as peur. Oh, pas de moi. Je n’ai pas la prétention de croire que je puisse te bouleverser un tant soit peu. Mais, tu flippes à l’idée que je puisse tomber amoureuse de toi. » Peu à peu, je hausse le ton malgré moi et, à chaque mot, s’accompagne d’un pas en arrière. Inconsciemment, je m’en vais. « Alors, je te remercie. Vraiment. De vouloir le faire pour moi. Je suis certaine que ça part d’une bonne intention, mais tu ne crois pas que j’ai mon mot à dire pour une fois ? Tu ne crois pas qu’il est temps que je puisse m’exprimer sans avoir peur que tu t’en ailles parce que tu détestes tout simplement quand je te balance mes vérités à la figure ? Tu les détestes alors tu vas m’abandonner là encore une fois. Mais, cette fois, je ne te courrais pas après Edwin. Cette fois, je te laisserai t’en aller. Mais dis-toi une chose : si tu as vraiment de l’affection pour moi, si tu crèves vraiment de jalousie en ce qui concerne Orphée, tu….. » Il quoi ? Il me calmerait d’un mensonge ? Il userait d’un boniment pour m’empêcher de rentrer avec Orphée ? Il ferait quoi ? Qu’est-ce que j’attends au final ? Qu’est-ce que je veux ? Moi-même, je n’en suis plus certaine. Un rail de coke peut-être. Sans doute. De quoi me faire oublier cette conversation finalement clôturée d’un profond soupir. « Tu vois, quoi qu’on fasse, quoi qu’on dise, on finit toujours par se disputer… Alors, fais ce que tu veux Edwin. De toute façon, j’aurai tort, tu auras raison, on rentrera chacun chez soi, et les moutons seront bien gardés. »
De la colère. Une colère féroce, sauvage, brutale, douloureuse. Une colère qui le traversa de part en part, s'imposa dans son crâne, serra son poing jusqu'à ce que la douleur le contraigne à s'apaiser. Respirer. Se retenir de frapper, tout et n'importe quoi, éviter d'enserrer fermement cette femme dans ses bras, de lui faire mal pour l'empêcher de parler, pour la priver de sa fuite. Il l'écoutait, fermement attentif, le poing toujours serré, pâlissant tout comme son visage à mesure qu'elle déversait son flot de haine par sa bouche pourtant si jolie, si innocente, si naïve. Elle ne s'arrêtait plus. Des paroles amères et rancunières, blessantes et mortelles. A plusieurs reprises, Sheena atteignit le cœur d'Edwin, qui sentit des flèches s'y enfoncer si profondément qu'il doutait de pouvoir les en retirer un jour. Il ne le pourrait sans doute pas. Les blessures à l'amour propre provoquées par la seule femme qui ai, en un sens, un jour compté à ses yeux demeureraient éternelles. Voilà pourquoi Edwin n'avait jamais offert sa confiance ou cette affection dont la jeune femme se moquait si éperdument. Voilà pourquoi il avait protégé son âme de ce cocon qu'il n'avait jamais défait. Jamais. Sauf devant elle. Cette odieuse blonde qui profitait d'une tendresse avouée, d'un homme mis à nu devant elle, qui en profitait honteusement pour le détruire, le briser en divers petits morceaux qui trouvaient réconfort sur le sol humide. A terre. Un homme à terre. Voici ce qu'était Edwin, rendu pathétique par du blabla, inapte à la défense, à l'action, inapte à tout.
Elle avait achevé sa diatribe. Enfin. Le silence accueilli Edwin avec sympathie, sembla apte à panser ses blessures, un peu, juste un peu. Suffisamment pour qu'il puisse se mettre à réfléchir. Il regarda cette jeune femme comme jamais auparavant, avec la lucidité de l'homme qui retrouve peu à peu sa véritable personnalité, cachée par l'envoûtement que Sheena avait su faire naître en lui. Un envoûtement qui s'était brisé, suivant de près son égo en miettes. Il la regardait sans passion, sans amour, sans affection aucune. Il la dévisageait avec haine, rancœur et amertume. Avec dégoût, parfois. Il la fixait avec une pointe de regret et d'incompréhension, comme si l'ancien Edwin s'était enfin réveillé, comme s'il n'assimilait pas cette poupée dégoulinante de bon sentiment qu'il était devenu. Il se haïssait presque autant qu'il haïssait cette femme. Cette sorcière qui l'avait réduit à moins que rien.
Il avait pourtant été prêt à tout pour elle. Il aurait quitté Jewell, sans la moindre once d'hésitation, sans regret, puisque cela semblait la faire souffrir. Il aurait tout dit à Lloyd, craignant de perdre ainsi la seule amitié qui n'ai jamais compté pour lui. Il aurait avoué une affection sincère, un... amour, peut-être ? Des sentiments vrais et forts pour une femme, une unique femme, la seule qui lui soit digne, qui le mérite si amplement. Edwin aurait pu les assimiler, les combattre, les vaincre, pour qu'enfin ils puissent s'inscrire dans sa bouche, prendre la forme de paroles, de mots, franchissent la barrière autrefois infranchissable de ses lèvres, pour briser le silence et s'inscrire dans les airs pour la première fois. La toute première. Pour elle, il aurait renié tout ce qu'il était -presque. Il en aurait fait, du chemin, il aurait pu tout parcourir, invincible aux côtés de Sheena, leurs mains entrelacés peut-être. Putain de conditionnel. Un conditionnel auquel il avait cru, quelques instants, de doux moments de passion tendre et sauvage à la fois, ces moments inoubliables où il admirait Sheena au réveil, plongeant son regard affamé sur le visage de sa belle pour en graver chaque trait dans son esprit, où il caressait sa chevelure flamboyante pour se repaître de tendresse. Une tendresse qu'il s'était toujours refusé. Et là, en quelques phrases, quelques mots assassins, Sheena avait fait exploser en éclats tout ce conditionnel qui aurait pu s'inscrire dans une douce réalité. Leur réalité. Plus rien. Il ne résidait de cet espoir et de ces rêves qu'un désastreux sentiment de gâchis. Et la tendresse n'était pas faite pour lui. Pas plus que l'amour.
Elle lui reprochait éhontément des multitudes de vices qu'il n'avait jamais caché. La jalousie, la connaissait-il vraiment ? Surement pas. Un point pour elle. Pourtant, il n'avait jamais ressenti cette sensation désagréable, ce torrent de lave qui lui brûlait le ventre, qui assommait son esprit et son âme, qui circulait dans son corps à grande vitesse pour ne plus lui laisser le moindre répit. Cette sensation de ne jamais pouvoir quitter des yeux ce couple atypique, ce couple ignoble, ce couple pré-fabriqué. Orphée et Sheena. Il avait ressenti l'envie de le suivre, pour l'empêcher de retourner auprès de la femme qu'il ne méritait pas. Il ne méritait même pas de figurer à ses côtés, éteignant la beauté de sa compagne par son apathie et son obscurité. Ce n'était peut-être pas de la véritable jalousie, simplement un besoin de possession dévorant. Cela demeurait la première fois qu'Edwin bouillait ainsi pour une femme. Sheena refusait de comprendre cet honneur, cet insigne honneur qu'il lui faisait sans même le souhaiter. Aveugle, elle préférait le demeurer. Soit. Qu'elle le reste, il ne l'en empêcherait pas. Il ne l'en empêcherait plus. Il prendrait la fuite, à son tour.
« J'ai toujours pensé que tu me connaissais vraiment. Que t'étais la seule à voir au delà de ce que je laisse paraître. Mais tu vois, j'ai été con, et en plus de ça, j'ai été naïf. » Un sourire déçu se dessinait sur son visage, un sourire que la lumière du lampadaire rendait sinistre. C'était terminé. Le Edwin gentil et niais, contrôlé par un amour irraisonné, cet Edwin aux allures de grand romantique bisounours, il ne le laisserait plus reparaître. Plus jamais. Il lui avait causé bien trop de tort. Dès cet instant, cette seconde fatidique que Sheena avait préparé de reproches injustes et odieux, il reprendrait sa fierté et son caractère d'antan. Cet Edwin sans valeur, cet Edwin drapé dans son armure, scellée par les blessures d'autrefois. « En vérité, t'as raison, y a rien de plus que ce que je laisse voir. C'est ça, le vrai Edwin. » Il haussa les épaules, indifférent. Elle avait raison, après tout. Ils ne parviendraient jamais à rien, et il n'était pas fais pour l'amour. Mieux valait s'en rendre compte maintenant que trop tard. Sheena lui avait ouvert les yeux, une fois de plus.
Edwin jeta le mégot de sa cigarette, qu'il triturait nerveusement en l'écoutant parler. Il était désormais inconsistant, informe, trop malmené par des doigts épouvantés, stressés et énervés. Au sol, c'était là qu'était sa place, en compagnie du vieil Edwin, poupée vaudou lui aussi trop malmené par des paroles épouvantables, stressantes et énervantes. « Et tu sais ce qu'il va faire maintenant, le véritable Edwin ? » A nouveau ce sourire inquiétant, ce sourire que Sheena ne lui avait que rarement vu, mais qu'il prenait toujours lorsqu'il quittait discrètement le lit d'une conquête pour disparaître dans le silence et l'oubli. Ce sourire de séducteur, ce sourire de vainqueur. « Il va arrêter de se prendre la tête avec une fille qui n'en vaut pas la peine, et il va partir. Sans le moindre regret. Comme il fait toujours. » Sa main appuyée sur le bouton de la portière, il ne tarda pas à ouvrir définitivement la porte. Quelques secondes avant de s'engouffrer dans sa sublime porsche arborant, paradoxalement, les couleurs de l'amour, il releva la tête, fixa une dernière fois cette femme qui, dans un conditionnel passé, aurait pu changer sa vie. « Peut-être qu'en ayant à faire au vrai moi, tu comprendras où résidaient tes privilèges. » Puis, il disparu. D'abord dans sa voiture, fermant la porte pour ne plus rien voir, plus rien entendre, puis sur la route, après avoir quitté le parking sans un regard en arrière. Comme il avait promis de le faire, comme il s'était promis de le faire. Pourtant, ses yeux ne restèrent pas secs tout le trajet. Foutu enchantement !
Sheena T. Jackson
◭ messages : 1772 ◭ arrivé(e) le : 27/12/2013
Sujet: Re: Edwin & Sheena => Je ne suis ni marionnette ni pantin. Non. Je suis un hochet. Ven 3 Jan - 23:48
Edwin & Sheena
« Edwin & Sheena => Je ne suis ni marionnette ni pantin. Non. Je suis un hochet.! »
Il arrive que les mots soient superflus, dérisoires et inutiles. Des histoires d’amour comme d’amitié n’ont besoin de nul vocable pour exister. Un regard, une expression, un geste ou la quête de ces derniers suffisent à entretenir un échange. Une relation intense à faire pâlir de jalousie les bien moins nantis. Ils sont rares ces contes. Très rares. Edwin et moi pourrions en écrire un licencieusement délicieux et passionné si j’en soignais l’orthographe, si je peaufinais le style, si j’effaçais les ratures de mon égoïsme et les bavures de ma débordante fierté. Malheureusement, capricieuse enfant, je ne reconnais aucune chance aux confidences du jeune homme. Aucun privilège ne trouve grâce à mon cœur apeuré qui m’oblige à rédiger le pamphlet le plus incisif de cette fable sans morales quand il m’aurait pourtant fallu veiller à préserver notre histoire de l’œil critique, du regard envieux et, surtout, de l’incompréhension du néophyte. Edwin, je suppose, ignore tout des grands sentiments et de ces conséquences. L’amour, pour lui, se résume à quelques caresses savamment offertes pour une nuit blanche sans lendemain. Je l’ai simplement oublié. Le temps de scander des horreurs comme le félin en cage feulant dès qu’on l’approche, j’ai désappris ses efforts au profit de mes angoisses.
Moi, la petite idiote écervelée, j’étais bien plus qu’un souvenir au petit matin. Il ne songeait pas seulement à moi ces soirs de vague à l’âme. Il me le répéta à maintes reprises : toutes ces pensées convergeaient vers moi, uniquement moi, moi qui déboutai son besoin d’assumer, son besoin d’honnêteté envers mon frère. D’aucunes ne comprendraient cette obstination à persister dans le mensonge. Après tout, combien n’auraient pas souhaité cette place si convoitée ? Combien d’entre elles n’auraient pas usé leur vanité à ces pieds pour un peu de considération ? Beaucoup. Peut-être. Sans doute. Je n’en connais qu’une seule. Celle-là même qu’il quitterait volontiers pour tarir mes larmes. Et moi ? Qu’ai-je fait, hormis tout gâcher ? J’ai craché dans sa main tendue de peur qu’il ne devine cet amour grandissant. Cet amour brûlant nourrit en mon sein pour cet être imparfaitement parfait, cet amour qui m’étreint comme une maîtresse avide. J’aime Edwin. Je l’aime du plus profond de mon cœur. J’exècre cette sensation troublante alors, je la fuis lâchement. N’est-ce pas ce qu’il désira lui-même ? N’était-ce pas le premier commandement de ces règles stupides ? N’est-ce pas celle qui m’arracha un sourire satisfait me croyant à l’abri d’une telle malédiction ? Prétentieuse enfant. Les choses ont bien changé.
À présent, je me noie dans ses pupilles froides, graves, inexpressives pour évaluer l’ampleur des dégâts. J’y cherche une once de réciprocité, un soupçon d’affection ou l’ombre d’un peu de tendresse. Une futilité. Une bagatelle. Une infime inclination à sauver du naufrage. Malheureusement, je ne vois rien. Aveuglé par sa colère, je crois que je ne l’impressionne plus, il ne m’admire plus, peut-être même me déteste-t-il. Certains penseraient sans doute qu’affaiblie par la peur de l’abandon, j’exagère sévèrement. Toutefois, s’il est mon oxygène, j’étouffe de son indifférence. Le fiel de ces diatribes m’anesthésie. Je ne sais que dire pour le retenir. Mes vaines tentatives échouent à chaque reprise. Nous ne nous comprenons plus désormais et bien que je tremble à l’idée qu’il m’échappe, je ne pipe mot. Impuissante, j’écoute, j’accepte, j’entends, sans fléchir, j’endosse la responsabilité de son départ. Il a disparu dans la nuit sans m’offrir le droit au chapitre et moi, ankylosée par l’effarement, je suis restée plantée là, les yeux humides et le cœur en miettes. J’ai bêtement espéré son retour de longues secondes avant, de me faire une raison. Puis, de guerre lasse, j’ai commencé par pleurnicher jusqu’à m’effondrer dans un torrent de larmes. Les mains tremblantes, j’ai cherché une cigarette dans mon sac, mais le paquet a chuté, répandant mon seul réconfort à mes pieds nus. Quelle désolation. Mon cœur n’est plus qu’un terrain en friche. En proie à mes incertitudes, j’ai imaginé ce que serait la vie sans lui, sans ses baisers ou son parfum.
Il m’a fallu de longues minutes pour retrouver mon calme et rejoindre la fête. La jeune inconnue, aimable à souhait, patientait sur le patio, mes maigres apparats au chaud dans ses bras. Poliment, je la remerciai aussi chaleureusement que possible tandis qu’elle s’inquiète sincèrement pour moi : « Que se passe-t-il ? Vous avez un drôle de minois. Vous avez besoin d’un coup de main ? » Qu’ajouter ? Aux moindres mots, les larmes s’écouleront incontrôlables. Alors, je hausse les épaules et elle baisse les armes. Elle s’en retourne sur la piste se déhancher sur la musique tendance qui m’horripile. Je songe à Orphée et à Ziggy, introuvable quand au loin, j’aperçois April déambulant entre les tables. Sans doute cherche-t-elle après lui. Certainement même. Mauvaise, j’esquisse un sourire à l’imaginer seule pour le reste de la soirée. Pourtant, elle l’est moins que moi. Moi, l’imbécile à blâmer pour son comportement. Chaque seconde de chaque journée, il me manquera et, si d’aventures, j’avais à le croiser, j’en mourrais de honte et de déception. Est-ce là le sentiment d’échec dont on vante les méfaits ? Perdre, est-ce cette brûlure cuisante irradiant tout mon être ? Ai-je vraiment envie d'avancer avec cette saumâtre culpabilité qui m’enserre l’estomac ? L’angoisse est lourde, désagréable, ennuyeuse. Elle m’incommode davantage que l’alcool lui-même. Apprendre à vivre loin de lui est insurmontable, alors je me presse jusqu’à ma voiture, lançant mes affaires sur la banquette arrière de cette vieille bicoque qui rend l’âme après avoir longuement cherché mes clés dans le fouillis de mon sac. Je tremblais de tous mes membres et, avant de démarrer le moteur, j’ai tenté de téléphoner à Livia. Je n’étais pas certaine d’être capable de conduire, je voulais qu’elle m’envoie un taxi qu’elle paierait par avance – je n’avais pas assez de liquide sur moi –, mais je n’ai jamais réussi à la joindre. Je me sentais seule avec mes angoisses, abandonnée à mes tourments. L’unique solution que j’entrevoyais était de rester là, à attendre que la tempête passe.
Il devait être plus de minuit lorsque j’ai pris la décision culottée de téléphoner à Edwin. Je n’avais pas seulement besoin de lui parler, j’avais surtout besoin de lui. Certes, j’étais consciente que mon comportement lui offrirait le droit de raccrocher ou d’éviter de me répondre. Je n’avais été ni courtoise ni correcte avec lui. Pourtant, alors que je joue avec mon cellulaire, observant son nom affiché en lettres capitales dans mon répertoire, j'ai choisi d'appuyer sur le bon bouton. Le bouton « appel » de mon vieux portable. C’était audacieux, peut-être même signerais-je ici la fin de mes tentatives pour panser les blessures de mon cœur. Tant pis. Je prenais le risque. « Allez, décroche. S’il te plait. Décroche », scandais-je durant les cinq sonneries qui me dirigèrent vers sa boite vocale. Je n’ai pas dit un mot, j’ai préféré retéléphoner. Je l’imaginais dans les bras d’une femme aussi belle que Jewell, s’épanchant dans un amour factice le temps d’une soirée. Je n’en pleurai que de plus belle, incapable de retenir mes larmes quand je lui laissai ce message chevrotant, que j’ai voulu pourtant digne : « C’est moi ! Je ne devrais pas te téléphoner. Je suis sûre que tu n’as pas décroché parce que tu as vu que c’était moi et je comprends, tu sais. Je comprends tout à fait, mais il faut que je te parle. Il faut que je te parle de nous. C’est important. Rappelle-moi s’il te plait.... » J’ai respiré un grand coup pour être cohérente. Je fis ensuite une pause avant de le prier à nouveau : « S’il te plait. » Je pourrais rester là, dans cette voiture, le temps qu’il faudrait pour accepter cette faiblesse troublante qui ressemble à s’y méprendre à un appel à l’aide, le temps qu’il faudrait à Edwin pour se manifester.. du moins, s’il le fait.
Enfoncée dans le siège usé de ma vieille guimbarde, j’attends. J’attends que Livia ou Edwin me contacte. J’attends que la sonnerie métallique de mon portable envahisse l’habitacle de mon épave. Rien. Depuis plusieurs minutes. Désespérée, j’eus même l’idée folle de téléphoner à mon frère, cet homme hautain et directif incapable de communiquer sans hurler. Pourtant, j’étais certaine qu’auprès de lui, je trouverais une forme de réconfort : j’aurais au moins quelqu’un pour m’écouter, quand bien même ne détiendrait-il aucune réponse. J’y ai songé, vraiment, quand soudain, mon gadget s’est mis à sonner. J’ai cru qu’il s’agissait de lui, j’y ai vraiment cru. J’ai donc décroché à la hâte, gratifiant d’un « Edwin » penaud mon interlocuteur. J’avais peur de l’entendre, peur de lui parler et je fus incapable de cacher ma surprise en reconnaissant la voix familière de Livia. « Ça va ? Tu as une voix bizarre. Tu as bien dit Edwin non ? » m’a-t-elle demandé un peu inquiète. « Non ! Tu as mal compris. Et oui, oui, ça va. La cérémonie m’a un peu retournée, je voulais parler un peu, mais là, ça va mieux. » Je repérai, dans son silence, l’expression de son scepticisme. Elle eut au moins la décence de ne pas m'interroger davantage.
De rage, j’ai lancé mon téléphone dans la voiture. Le jeune mannequin ne prendrait pas contact avec moi, je devais me faire à cette idée et pourtant, elle m’arrachait de nouvelles larmes. Je l’avais perdu lui aussi, par bêtise ou par lâcheté. Que peuvent bien coûter quelques explications sincères qu’il aurait sans doute pu comprendre ? Il n’était pas stupide, si je lui avais offert la vérité à mots cachés, je serais parvenue à le retenir. À défaut, je me débats entre solitude, remords et incertitude. Je me noie dans mes pleurs et mes regrets. Je ne suis plus qu’une ombre désormais. Il me suffisait de chercher mon téléphone et d’appuyer sur rappel. Je ne voulais pas cependant. Je me l’interdisais. Je ne supporterais pas brûler le peu de fierté qu’il me restait pour une histoire sans lendemain, pour un homme aux belles paroles qui m’a trop souvent démontré qu’il n’attendait qu’une chose : me mettre dans son lit. En cet instant, je regrettais de m’être vendue si facilement et avec si peu pudeur. Le souvenir m’est devenu, en un instant, détestable. Et je sers de mes mains le volant de plastique de mon épave. Je crie pour me soulager, je hurle pour évacuer cette colère qui m’inonde et cet amour qui me tue à petit feu. J’aurais pu retenter ma chance, mais j’en décidai autrement. Mes mains tremblaient encore, mais j’ai pris la route, le regard embué fixé sur des chemins que je n’emprunte jamais. Rouler. Rouler le plus loin possible, où le vent me porte malgré moi : chez Edwin. Alors, puisque j’étais là, je confiai ma fierté à ma folie et j’ai claudiqué jusqu’à sa porte. J’ai pensé : « Qu’est-ce que je fais là ? », mais mon poing serré et crispé s’est abattu contre le bois. Une fois. Deux fois. Trois fois. En vain. Partir aurait été une solution tout à fait acceptable. Je n’en ai cependant pas trouvé le courage. S’il n’existe aucun hasard, ce soir, nous avions rendez-vous…
Éreintée, je me laisse alors glisser contre le mur froid du hall en proie à mes divagations et me rongeant les ongles. Le regard vide, j’ai peur. Je me réconforte de mes propres bras, mais c’est inutile. Seule sa présence, quand bien même n’apprécierait-il pas la mienne, m'apparaît nécessaire pour me détendre. Et d’ennui, je soupire. J’ai tant de fois fouler le sol de cet appartement pour de plus réjouissantes raisons que l’idée d’avoir à confesser d’humbles excuses m’est presque insupportable. Ma vanité m’intime de courir loin d’ici. Toutefois, j’en suis incapable. Que s’achève cette histoire, mais pas de mon fait : j’en mourrais. C’est l'unique force qui m’anime et j’y trouve quelque courage malgré ce bruit de pas approchant. « J’avais laissé pousser mes ongles pour le mariage. Je voulais être parfaite, alors j’y ai fait très attention. J’ai tout rongé en t’attendant. Il n’y a plus rien. » lui soufflais-je mal à l’aise, confuse et maladroite dans le propos. « Si je voulais être parfaite, ça n’avait rien avoir avec Orphée. C’est pour toi, parce que je voulais que tu me trouves belle. Je voulais que tu te dises que… je ne sais pas… que j’étais plus belle qu’elle, plus belle que ta copine. Peut-être même plus intéressante. Ça n’avait rien avoir avec Orphée, je te le jure ! » Mon orgueil, mis à mal, se brise contre le verre fragile et délicat de mes vérités. « Et je n’ai pas couché avec lui. Et ça aussi je peux te le jurer. » Parce que je n’y suis pas parvenue. Parce que tu m’obsèdes, parce qu’aujourd’hui, tu es le seul à me faire frémir pour une caresse. Mais ça, c’est un secret. Un secret que je garde précieusement, pour l’instant.
« Edwin ? Qu'est-ce que tu fais là ? Qu'est-ce qui se passe ? » Une voix féminine teintée d'inquiétude brisa le silence dans lequel Edwin était plongé depuis de nombreuses minutes. Un silence à la fois réconfortant et salvateur. Un silence qu'il ne put se résoudre à quitter. Pénétrant dans la pièce sans y avoir été réellement invité, bousculant sa jeune propriétaire au passage, il l'attendit au milieu du salon, ouvrit la bouche, respira. « J'ai besoin d'une bouteille de whisky et de ta meilleure came. » Besoin de tout le matériel nécessaire pour oublier, pour forcer son esprit à penser à autre chose qu'à cette jolie blonde à l'image persistante, à la beauté animale, à la parole sévère. Edwin semblait n'avoir plus d'autre désir faisant battre son cœur à cet instant précis, un cœur désireux de s'échapper de cette poitrine pour retourner en plus belle compagnie. Devant elle. A ses pieds même. Celle devant qui il avait rendu les armes. Pitoyable faiblesse. Incapable de se jeter dans les bras de la première venue, incapable de frapper à une porte autrefois franchie avec bonheur et désir, incapable de sourire à un visage à peine connu, incapable de se laisser aller aux plaisirs de la chair tant qu'il ne penserait qu'à elle. Cette blonde au regard électrique, à la beauté flamboyante, aux cheveux immaculés d'un doré mielleux et délicieux. « Pourquoi ? » « Depuis quand j'viens te voir pour une psychanalyse ? Pose pas de questions, je paye, c'est tout. » La jeune rousse qui lui faisait face ne cacha pas sa colère. Un sourire froncé, le regard glacial et la bouche serrée, elle ne perdit pas de temps en réponse. Sa bouteille à la main, son petit sac de pilule dans l'autre, elle lui donna le tout, impatiente qu'il quitte les lieux pour ne plus revenir qu'en meilleure forme. Ou qu'il ne revienne pas du tout. Edwin lui glissa les billets qu'elle attendait dans la main, avant de franchir à nouveau le pas de la porte. Il ne claque pas la porte, il ne la ferma même pas. Tant de gestes inutiles, et une si grande fatigue ! Un abattement certain, une douleur toute aussi grande le rendaient à la fois exécrable et pitoyable.
Son sac dans la main gauche, Edwin enjamba les escaliers en quelques secondes. Il lui tardait de se reposer sur son canapé, quelques douces musiques en fond sonore, un verre de Jack dans la main et de quoi fumer pour sombrer dans l'oubli. Pour faire disparaître le visage de Sheena dans quelques volutes de fumée éphémères, pour anéantir les sentiments qui bouillaient dans son cœur au fur et à mesure qu'il se perdrait dans quelques délires psychédéliques que seule procurait la drogue. Un pas devant l'autre. Ses jambes, lourdes, l'interdisaient presque de parcourir de longues distances. Il se sentait ankylosé, fatigué, mal, si mal. La simple vu de sa porsche le rasséréna quelques instants, alors qu'il s'installait au volant, jetant ses friandises à l'arrière de la voiture. Il mit quelques instants à démarrer, après s'être pris la tête entre les mains. Il n'avait sans doute pas fait le bon choix. Brutal, violent, mesquin et méchant, Edwin s'était laissé aller à la colère, une colère vile qu'il avait senti brûler à travers ses veines, une colère qu'il regrettait désormais. Elle lui semblait si futile au milieu de leur attachement, comme si elle n'y avait pas sa place, comme si elle s'était silencieusement dérobée à son cœur pour mettre son grain de sel dans une discussion délicate. Le jeune mannequin se savait incroyablement faible face à la force de ses émotions, et la colère prenait la tête de sa liste. Son sang n'avait plus fais qu'un tour à l'écoute des mots de Sheena, ses phrases dévastatrices, ce poison qu'elle avait pris un malin plaisir à distiller dans le cœur de son 'aimé'. Son poing s'était serré, son visage avait blanchi, ses dents avaient mordu l'intérieur de sa bouche pour s'empêcher de parler, s'empêcher de hurler. Sheena n'avait pas semblé s'en apercevoir, puisqu'elle avait continué de parler, déversant son flot d'immondices aux oreilles déjà ensanglantées d'un Edwin mortellement blessé.
Il allait redémarrer lorsque le clignotement bleuté de son portable l'averti d'un message. Dans un soupir, et sans la moindre conviction, il l'attrapa d'un simple mouvement du bras. Sheena. Sheena. De longues minutes, Edwin ne bougea plus. Le regard vrillé sur ce simple nom qui prenait tout l'écran, sur ce message vocal qu'elle semblait lui avoir laissé mais qu'il avait peur d'écouter. Entendre à nouveau le son de sa voix, se remémorer ce passé bien trop présent et encore brûlant dans son cœur, craindre de nouveaux reproches, de nouvelles insultes, s'exposer à de nouvelles flèches acérées usant de son cœur pour cible. La peur tétanisait son corps, alors que des miettes de sa fierté mise à mal persistait à hurler son désaccord. Allez Edwin, un peu de courage merde, allume ce foutu téléphone, compose ta messagerie et écoute. Que veux-tu qu'elle te fasse de plus hein, elle a déjà fais de toi cette loque arriérée qui reste planté deux minutes sur un simple nom inscrit sur un foutu portable. Bouge toi ! Dans un sursaut d'énergie, un regain de fierté, Edwin composa enfin ce numéro tant appréhendé. Vous avez un nouveau message. La voix de Sheena ne tarda pas à retentir, s'emparant tant du combiné que de son esprit embrumé. Cette voix mélodieuse qui résonnait désormais dans sa tête, ce 'nous' qu'il avait tant rêvé d'entendre, ce 'nous' qu'il craignait de voir réel, mais qu'il craignait plus encore de voir disparaître. Il voyait son image se dessiner dans la nuit, sur son pare brise ou sur le siège, à ses côtés, il l'imaginait si aisément, le téléphone à l'oreille. Ses supplications lui arrachèrent le cœur. Des supplications proférées avec tendresse, avec douceur, presque avec désespoir, à des lieux de ce ton hautain et colérique qu'elle avait employé peu de temps avant. Ce ton calme aux relan fétides qui l'avait dégouté.
Edwin jeta le portable à ses côtés, tourna la clé dans la serrure de la voiture, démarra dans un vrombissement bruyant de bolide de course. Une nouvelle colère s'emparait de son esprit, de son âme, aveuglait ses yeux et faisait de la vitesse un excellent exutoire. Certes dangereux et intrépide, stupide même, mais un exutoire quand même. Edwin se laissa aller, le pied sur l'accélérateur, tourna, tourna. Sa colère avait changé de visage. A la place de la blondeur incandescente de sa belle, il voyait désormais un beau brun arrogant au regard carnassier. Il se voyait lui, Fitzwilliam Chester. Il se voyait redevenir celui qu'il avait toujours été, cet homme fier et prétentieux, cet homme incapable de malheur car fermé au monde extérieur. Ce type là, il avait ses qualités et ses défauts, Edwin l'avait apprécié, beaucoup, il avait fini par le connaître par cœur, par mouler son corps dans le sien, jusqu'à ce que leur âme respective ne devienne plus qu'une. Mais Sheena et sa présence, Sheena et ses paroles libidineuses ou arrogantes ou cruelles... Sheena et elle, dans son entièreté, sa réalité. Elle l'avait dévêtue de ses vêtements, de son amour propre, mais surtout de ce masque moulé à son visage qui paraissait ne plus vouloir s'enlever. Elle y était parvenue, sans violence aucune, usant de ses caresses, de sa tendresse, mais aussi de son fort caractère, de ses humeurs et de leurs disputes. Ils s'étaient nourris de tout ce qui faisait de leur duo des êtres explosifs. Mais Edwin avait failli le premier. Cet imbécile qui avait tenté de recoller ce foutu masque comme si jamais rien ne s'était produit, qui avait voulu y parvenir, naïvement. Mais la vérité s'insinuait en lui, sombrement, dans les tréfonds de son âme, emplissant tout son bon sens, détruisant son égo, ses idéaux, ses désirs de conquêtes et d'expériences. Ce masque, Sheena n'avait pas fais que le décoller. Elle l'avait détruit, définitivement, le brisant en mille morceaux de ses ongles parfaitement manucurés pour que jamais il n'ai le moindre espoir de le recoller. Délicieux bourreau.
Un coup de frein, brutal. Arrivé en bas de son appartement, il ne prit pas de temps pour s'apaiser à nouveau. Ses emplettes dans les mains, il gravit les escaliers à toute vitesse, plus pressé que jamais de se reposer, de s'enivrer, d'oublier. Non, de la rappeler. Il le fallait, son portable lui paraissait un poids dans cette poche qui ne supporterait plus longtemps cette odieuse enclume. Ce portable qu'il rêvait de coller à son oreille, afin d'entendre à nouveau la douce voix de Sheena, d'imaginer son image face à lui, de... Un mirage. Un putain de mirage dans le désert de la désolation l'attendait sur le pas de sa porte. Un mirage sensiblement réaliste qui ne tarda pas à ouvrir la bouche pour parler, parler, des paroles à mille lieux de ce à quoi il avait tant eu droit voilà une quinzaine de minutes, une vingtaine, une trentaine peut-être ? Le temps n'avait plus aucune prise sur lui, pas plus que le bon sens alors qu'il dévisageait Sheena, face à lui. Incapable de croire réellement à cette chimère, abasourdi par sa présence, il mit du temps à réagir. Quelques secondes fatidiques, peut-être une minute, qui dut paraître une éternité aux yeux de la jeune femme qui venait pour la seconde fois peut-être (à moins qu'il ne s'agisse de la première ?) de se mettre à nue devant lui. Edwin n'ouvrit pas la bouche. Son sac fermement maintenu dans une poigne de fer, serrée non plus par la colère mais par une surprise démentielle, il ouvrit la porte. S'emparant avec douceur et tendresse de la main de Sheena, il l'entraîna à sa suite, jeta le sac sur le canapé, qui tomba au sol dans un bruit de bouteille qui, par chance, ne se cassa pas. Peu importe. Elle aurait pu exploser en mille morceaux, déversant sur le sol pourtant propre une flaque de liquide d'un marron douteux, cela n'aurait pas eu la moindre importance. Les bras enserrant le corps de sa belle, la tête d'Edwin reposant sur son épaule, les yeux clos, il la tenait fermement contre lui, après l'avoir presque brutalement plaquée contre le mur. Plus jamais. Plus jamais il ne voulait la laisser partir, plus jamais il ne voulait s'enfuir, plus jamais il ne voulait s'échapper de cette emprise significative, de cette tendre affection qui les liait à cet instant précis, durant cette nuit évocatrice et riche en complexité.
Elle était là. Sa seule présence suffisait à apaiser les colères et les douleurs qui enserraient le cœur d'Edwin. Elle était revenue, pour lui, avec lui, elle était revenue et plus encore, elle lui avait offert des mots primordiaux. Elle voulait être belle pour lui, elle voulait être unique à ses yeux, elle n'avait pas couché avec Orphée. Cet homme, cet insigne salaud n'avait pas pu caresser les douces courbes de son corps, se repaître de la douceur de ses lèvres. Cette simple promesse suffit à apaiser la jalousie d'Edwin, qui sentit ce flot de lave dégoulinant disparaître pour rejoindre le sang dans ses veines. « Tu es mille fois plus belle, mille fois plus intéressante qu'elle. » lui glissa-t-il au creux de l'oreille, d'une voix douce, un murmure, presque un chatouillement qu'on aurait pu croire irréel. Une affirmation évidente, qu'il n'aurait même pas cru envisageable de devoir énoncer à haute voix. Cela relevait de l'évidence. Edwin n'avait jamais eu le moindre sentiment pour cette jeune femme qu'il considérait à tort comme sa 'copine', simple norme sociale dont il se fichait éperdument. Il l'appréciait certes plus que d'autres femmes, il lui offrait l'honneur de s'afficher à ses côtés, voilà tout. Les privilèges de Sheena se révélaient bien plus importants. Ils lui offraient le cœur de cet homme, un cœur nouvellement en mouvement, brûlant de vivre à nouveau. Edwin se releva, ne lâcha pas pour autant son étreinte. Seul un de ses bras se délogea de cette douce chaleur pour caresser sa joue, alors qu'il plongeait sur elle pour l'embrasser. Un baiser passion, un baiser tendresse, un baiser sentimental et romantique. Ce baiser qu'il n'avait jamais donné avant elle. « Que veux-tu, Sheena ? Tu as raison, je ne te l'ai jamais demandé. Que veux-tu, pour nous ? Qui somme nous ? » Son regard plongé dans les prunelles de Sheena, il l'admirait avec toute la force du désespoir nouvellement évanoui dans la nature, un désespoir qui s'était levé de son esprit à l'instant précis où il avait cru à ce mirage. Il l'admirait, en attendant la sentence de son bourreau.
Sheena T. Jackson
◭ messages : 1772 ◭ arrivé(e) le : 27/12/2013
Sujet: Re: Edwin & Sheena => Je ne suis ni marionnette ni pantin. Non. Je suis un hochet. Dim 5 Jan - 0:21
Edwin & Sheena
« Edwin & Sheena => Je ne suis ni marionnette ni pantin. Non. Je suis un hochet.! »
Dans l’espace confiné de cet oppressant palier, je lui sers quelques exactitudes sur un plateau d’argent. Certes, je préserve les secrets honteux et dangereux qui l’éloigneraient de moi, je lui cache les quelques vérités à propos de mes projets avortés concernant Orphée. Qu’avouer ? Que j’ai touché du doigt la perspective de l’oublier dans les bras de mon ex, mais que mon bel-ami n’est plus qu’une obsession ? Qu’il hante les traits des hommes d’antan charmants et tentants ? Que je suis fidèle à l’espoir d’un « nous » plus inaccessible qu’une étoile ? Que le lier à moi contre son gré est la quête folle que je me suis fixée ? Que j’ai fait fi de ses conseils et de ses règles en m’épuisant à l’aimer ? À quoi bon ? Si ce n’est déjà trop tard, je risquerais de le perdre définitivement. Ainsi, je m’astreins à ces honnêtes bagatelles destinées à lénifier sa possessivité, à endormir cette jalousie que ma satire acrimonieuse a réveillée. Et moi dans tout ça ? Qui me consolera ? Qui me rassurera ? Qui anesthésiera les maux sévères de mon cœur effarouché ? Qui soignera ces angoisses qui m’étreignent tout entière ? Qui se préoccupera de moi si Edwin demeure murer dans ce silence trop solennel ? Dans ce mutisme aphasique qui m’est tout bonnement insupportable ? Si j’étais plus courageuse, moins timorée, plus téméraire et moins pleutre, je me jetterais, sans plus patienter, dans ses bras chargés. Je m’y imposerais pour caresser de mes lèvres l’ourlet délicieux de sa bouche parfaite. Je suis bien trop poltronne cependant. Paralysée par l’attente, je ne peux que m’accrocher au fol dessein de déterrer, à mon égard, un trésor d’affection enfoui dans le bleu de ses yeux. Bien entendu, je ne déchiffre rien. J’y présuppose un grain de surprise et d’effarement. Rien d’apaisant néanmoins. Rien ou pas assez pour me secourir d’un peu de quiétude. Alors, achevant de ruiner ma manucure, je le suppliai à nouveau d’un regard cerné du noir d’un mascara coulé.
Mon Dieu, faites qu’il me parle, qu’il me rejette par fierté, qu’il m’étreigne par tendresse ou qu’il m’ignore par indifférence, mais qu’il rompe enfin ce silence assourdissant. Un mot sentencieux, un geste doucereux, une réaction fielleuse, une parole mielleuse, qu’importe le contenu du discours, tant qu’il brise ses chaînes qui me retiennent là, moi qui suis pathétiquement émouvante, ridiculement touchante et scandaleusement poignante de désarroi. Je me sens si lasse, si désespérément assommée par le découragement. De secondes en minutes, j’ai semé plus tôt tantôt le chaud tantôt le froid. Un instant m’a suffi pour me défaire des bénéfices durement gagnés durant nos batailles. Naïvement, j’ai cru qu’un autre me rendrait les pertes sèches de ma bêtise. Une fois de plus, j’ai eu tort. Certes, je pourrais ajouter l’une ou l’autre explication fumeuse pour justifier mes comportements lunatiques, mais j’ai craint qu’un mot de trop anéantisse tous mes efforts. Dès lors, en proie à des sueurs froides, je l’épie ouvrir sa porte. J’ai la peur au ventre désormais. Une peur remplacée par un soupir de soulagement quand, finalement, sa main vient tendrement chercher la mienne. Alors, engoncée dans la pénombre de son appartement, j’ai souri, discrètement. Je redeviens cette poupée sans volition qui danse comme il chante, cette marionnette sans hardiesse qui ne prend vie que s’il tire les ficelles.
Nous avons la nuit pour amie. L’obscurité pour compagne. Dans ses bras, plus rien ne peut m’atteindre, pas même ce détestable silence rompu par le tintement d’une bouteille sur le carrelage froid. Dans ces bras, plus rien n’est insurmontable, pas même cette obsédante appréhension née de nos innommables émois. Et, tandis qu’il me sert tout contre lui, un frisson me parcourt l’échine. Alors qu’il cache ses traits parfaits dans mon cou, je hume ce parfum masculin mêlé à l’odeur familière de tabac. Puisqu’il m’accule promptement contre le mur de son appartement, je me sens parfaitement en sécurité, tout à fait à ma place, en accord total avec mes souhaits inavouables et inavoués. Certes, je songe lui chuchoter quelques mots doux à l’oreille. Or, je m’abstiens. Je savoure plutôt les siens plus réconfortants que précédemment. Est-ce le même individu qui, plus tôt, m’asséna sans scrupule de ne pas en valoir la peine ? Est-ce celui qui m’abandonna sans ambages dans un parking ? À sa délicatesse retrouvée, rien d'autre que la fermeté de son étreinte me maintient à terre puisqu’en réalité, je vole dix centimètres au-dessus du sol. « Fais-le », lui susurrais-je en usant d'un ton semblable. « Quitte là non pas parce que je te le demande, mais parce que j’en ai besoin. » Le besoin irrépressible d’être l’unique femme qui jouit de la moindre importance. La seule femme qu’il revoit inlassablement. La seule femme dont il peut caresser la peau du visage avec, dans le geste, plus d’affection que de camaraderie, plus de complaisance que de familiarité, plus d’amour – peut-être – que d’amitié. La seule à qui il offre un baiser étrange et différent. Un baiser exalté et sensible. Haussée sur la pointe des pieds, mes mains, un peu fébriles, s’échouent sur les joues que je me refuse souvent de gifler si elles le méritent parfois. Inconsciemment, j’ai suivi le conseil de mon palpitant épris. J’ai suivi ses conseils et j’ai fait fi de ces conséquences qui m’effraient. J’ai balayé mes idées noires pour me fier aux caprices d’un cœur malappris et inquiet, d’un cœur blessé et indécis, d’un cœur qui ignore tout et qui ne saisit pas grand-chose, d’un cœur qui bat tambour dans ma poitrine. D’un cœur qui reconnaît la fiévreuse incandescence du désir maladif de lui appartenir tant charnellement que sentimentalement. Tout contre lui, je ressuscite. Edwin (re)suscite en moi cette appétence malsaine et interdite.
Derrière cette frondeuse question, j’entrevois l’ombre menaçante d’un piège. Ai-je le droit d’être totalement sincère ? Si ce n’est pour lui ou pour moi, ne serait-il pas plus aisé de taire des déclarations brûlantes ? Une pensée pour mon frère et ma raison hurle par la négative. L’idée n’est pas envisageable. Il mourrait de nous surprendre ainsi enlacer. Sous le joug de la colère, il nous abattrait et, mon amant et moi, nous plierions sous le poids de la honte. Force est d’admettre que l’envie d’Edwin qu’est d’assumer cette union sans nom est bigrement tentante. Elle n’en reste pas moins dangereuse. Combien de mensonges et de fadaises devrais-je lever pour recoller le vase brisé de leur belle amitié ? Combien de larmes devrais-je essuyer quand tombera le voile opaque de la désillusion dans l’œil déçu de mes parents ? Pourtant, c’est vrai, j’aimerais autoriser Edwin, à présent que s’achève cet instant trop court, que s’interrompt ce moment béni, des dieux, de tout révéler à Lloyd, qu’importent les conséquences et qu’importe la suite. Je devrais, peut-être.
Paralysée par la peur, je n’ose tout simplement pas. Tout en moi trahit cette crainte viscérale de le perdre encore d’avoir été trop honnête. « C’est quoi cette question ? » chuchotais-je sans taire la panique qui teint ma voix cassée par le saisissement. « Je ne peux pas répondre à cette question… » Pour qu’il l’oublie, je laisse mes lèvres glisser le long de sa mâchoire, tentant savamment d’ignorer ce regard lourd qui, alcool faisant, émotion aidante, m’inciterait volontiers à quelques aveux. « Je peux simplement te dire que j’aime t’entendre dire nous. C’est tout. Ça se résume à ça. » conclus-je alors assaillie par un mauvais pressentiment. « Tu n’aimerais pas ce que je pourrais dire Edwin. Alors, n’insiste pas. Ce n’est pas toi qui m’a dit un jour, je cite, si tu souffres, si tu veux plus, si je te manque, je ne veux rien savoir. Rien ? » Si c’est une question piège, toute réponse honnête est un risque considérable. Je ne veux pas qu’il devine tous ces mensonges que j’ai proférés dans l’unique but de le retenir. Je ne souhaite pas non plus qu’il se doute que j’ai désobéi à ses règles avec un aplomb insultant et une facilité déconcertante. Pourtant, j’en ai déjà trop dit. Beaucoup trop. Qu’importe, je prends le temps de cette spontanéité trop hardie pour mes frêles épaules et j’aviserai plus tard. J’abandonne ma raison au profit de l’insouciance. J’interromps la tendre entreprise pour cadenasser mes pupilles aux siennes, plus troublante qu’à l’accoutumée, plus éloquente qu’à l’habitude. J’ai, peut-être à tort, l’intime conviction qu’il cherche de vraies réponses, pas une manœuvre juive ou normande pour éluder la question. « Tu veux que je sois sincère ? C’est vraiment ce que tu veux ? » Interrogation rhétorique. Je saisis le train du courage avant qu’il quitte la gare. « Très bien. Je ne sais pas ce que nous sommes exactement. C’est un peu flou. Encore plus aujourd’hui je crois. Tout ce que je sais, c’est que même quand tu n’es pas là, je pense à toi. Tout le temps et c’est fatigant. Quand je fais quelque chose, et même quand je ne le fais pas, c’est souvent grâce à toi, pour toi ou à cause de toi. Je sais aussi que je n’ai jamais été aussi sage que depuis toi… ou nous. En fait, je ne sais pas s’il y a un nous. Je ne peux pas le décider toute seule. Tout ce que je sais, c’est que parfois, j’aimerais qu’il existe, parce que tu es plus qu’une passade pour moi. Et, concernant ce que je veux, puisque tu me le demandes, je dirais que… je ne veux pas te mettre en prison, je veux t’obliger à rien, mais par contre, je veux bien que tu me laisses t’apprendre comment faire de tout ça un « nous »... Du moins, si c’est ce que tu veux. » Et mes mains se déposent sur son torse, à proximité de son cœur. Ma tête, au terme du monologue, s’impose à son front que mes iris se libèrent des siennes. Je ne badine plus. Je ne marivaude pas non plus. Je le prie de me serrer très fort dans ces bras. « Le plus fort possible. » ai-je même insisté, persuadée que c’est tout ce que j’obtiendrai, que c’est tout ce dont il est capable, que, ma fierté mise en échec par ma faiblesse, nous finirons à nouveau par nous disputer, parce qu’il craindra d’être pris au piège, qu’il refusera la contrainte, que je ne pourrai pas revenir en arrière, que je devrais assumer, que ça me sera impossible et qu'alors je m’en irai comme je suis venue, avec la certitude que j’ai joué mon dernier as.
Soulagement. Sheena était revenue. Soumise à quelques incertitudes pourtant, elle avait fini par prendre la bonne décision. Edwin n’imaginait que trop mal les multiples doutes qui avaient pu bouillonner en l’esprit de la belle Jackson, mais il appréhendait encore et toujours les siens. Cette peur invraisemblable et insurmontable de l’avoir perdue, de façon définitive cette fois, cette colère brûlante et vicieuse qui brusquait savamment les booms de son cœur. Des sentiments, des sensations étranges qui s’ouvraient à lui comme un monde nouveau et obscur, inconnu et effrayant. Il croyait pouvoir se noyer dans sa douleur, dans sa tristesse, dans son désespoir. Il se voyait sauter dans le vide pour ne récolter que les fruits amers d’une Sheena devenue traitresse, devenue bourreau. Devenue reine dans le royaume de son corps, uniquement soulevé d’une minuscule révolution anticipée. Fierté s’était soulevée pour détrôner ses sentiments et son désespoir. Elle s’était démenée pour retrouver son pouvoir d’antan. Mais cette jolie blonde, en attendant sur le palier, en ouvrant la bouche pour quelques paroles rassurantes, en se montrant si forte et si douce, si tendre et si émouvante, avait tué dans l’œuf cette ridicule révolution. Une reine qui gardait sa supériorité. Edwin était devenu son esclave à nouveau. Leur main entrelacée alors qu’il l’amenait à sa suite à l’intérieur de son appartement, son corps parcouru de multiples frissons à la simple idée que Sheena était là, face à lui, que ce mirage s’était inscrit dans la réalité pour envisager un nouveau futur, un futur non dénué de la présence lumineuse de cette femme qu’il ne pouvait même plus imaginer perdre. Il n’avait pas tardé avant de la plaquer contre le mur pour emprisonner son corps d’une caresse non rassurante, pas plus que désirable. Simplement une étreinte emprunte de la force d’une affection mise à mal. Une étreinte qu’il souhaitait éternité, tout en craignant cette notion de temps et de responsabilité.
« Fais-le » Une phrase à consonance d’ordre à suivre, d’obligation à respecter, qui aurait été rédhibitoire pour un Edwin immature, mais qui, lorsque prononcé avec cette pointe de tendresse dans la voix et par cette jolie jeune femme qu’il avait appris tant à connaître qu’à apprécier, lui semblait simplement une évidence. Oui, il le ferait. Précisément pour la raison que Sheena venait d’énoncer en susurrant à son oreille, pour ce besoin irascible qu’il pouvait presque imaginer tremblotant dans son cœur. Ce besoin qu’elle ne pouvait contrôler, celui non d’être la seule, mais d’avoir les privilèges dont il la vantait tant. De posséder la seule chance de goûter à ses baisers transis d’affection, à ses caresses différentes, non plus lubriques, plus seulement, mais offrant la tendresse de sentiments désormais éclos. D’être un autre Edwin, avec un nouveau regard, un nouveau sourire, de nouveaux frissons. Avec elle, il adoptait un caractère différent, des sentiments nouveaux, il était cet être étrange perdu dans ce nouveau monde un peu féerique. Ce monde dont elle était la reine. Encore et toujours. C’était bien la première fois qu’une femme pouvait se targuer d’un tel rôle. Mais Edwin, désormais, comprenait où résidait le problème, la raison pour laquelle Sheena n’assimilait pas bien les avantages qui étaient les siens. Il n’en avait jamais parlé. Pas une seule fois, il n’avait mis de mots sur ses pensées, persuadé que les gestes seuls suffisaient, qu’elle avait la capacité de lire en lui mieux que quiconque et qu’elle comprendrait. Non. Elle ne comprenait pas. Et il ne pouvait lui en tenir rigueur. Peut-être emprise par la peur d’interpréter de mauvais signes, d’envisager un trop bel avenir sur de simples petits symboles tels qu’un baiser un peu plus tendre, qu’un regard énamouré, qu’une tendresse unique. Sheena ne le connaissait pas avec les autres femmes. Sheena ne le connaissait pas. Elle ne savait de lui que la façon dont il se comportait en sa présence, un comportement déjà, en lui-même, unique. Un beau jour, il ferait en sorte qu’elle comprenne. Mais pas maintenant.
Maintenant, l'heure était à la franchise et à la sincérité. Pour la première fois, Edwin écouta l'un des reproches qui lui avait été fait. Pour la première fois, il questionna la jeune femme. Sur ses sentiments, ses désirs, ses envies, ses peurs aussi et ses doutes. Avec cette simple question, il lui permettait de tout admettre, de tout dire, de tout tenter. Il ouvrait une porte vers un jardin luxuriant aux arbres florissants d'où tomberaient les fruits de la sincérité et de la fierté. La fierté d'avoir tout dit. Celle d'avoir ouvert son cœur en même temps que sa bouche, celle d'avoir laissé une tierce personne -mais pas n'importe laquelle- pénétrer dans l'habitacle clos de leur affection. C'était valable tant pour l'un que pour l'autre. Pour Edwin, endossant cette carapace amère et obscure, et pour Sheena, arpentant avec agilité la voie de la manipulation et du double jeu. Un double jeu dangereux, souvent. Un double jeu si dangereux, même, qu'il l'avait mené à trouver la faille d'un homme, cette unique faille dans laquelle elle s'était engouffrée sans réfléchir, la tête aveuglée par le défi, le jeu, l'esprit de séduction et de difficulté. Elle avait fait une erreur, sans le moindre doute, mais une erreur qu'elle se voyait incapable de regretter. Et lui, jeune châtelain assailli avec douceur, s'était rangé aux côtés de sa détractrice. Ses yeux dans les siens, il lui demandait ce qu'elle souhaitait faire de ce château désormais. De lui, d'elle, et d'eux.
La réponse de Sheena ne se fit pas attendre. Un murmure, délicat, éphémère, irréel. Un murmure teinté de surprise, de peur surement, d'appréhension. Elle n'avait visiblement pas imaginé une seule seconde qu'un homme tel que lui puisse en venir à se remettre en question. A écouter ce qu'elle avait à dire, les oreilles et le cœur grand ouvert comme jamais auparavant. Soumis aux surprises et aux changements, un sourire ne tarda pas à naître sur ses traits lorsqu'il entendit ses propres mots s'échapper de la bouche de Sheena. Que ce temps lui semblait lointain, désormais, après tout ce qu'ils avaient traversé tous les deux ! Que cette phrase idiote lui paraissait arrogante et prétentieuse, et à la fois si délicieusement paradoxale... Voilà qu'aujourd'hui, c'était Edwin qui, bouffé par le manque, souhaitait chaque jour entendre le son de sa voix, toquer à sa porte, pénétrer dans son appartement, la voir, simplement la voir pour la serrer dans ses bras ou ne pas la toucher. La voir, plutôt que l'imaginer. C'était lui qui souffrait de ce manque mordant dès qu'il caressait une autre femme et que brusquement, sans qu'il n'ai le moindre contrôle sur son esprit, Sheena se rappelait à lui, son visage prenant celui de sa maîtresse, sa voix, soumise aux supplications, résonnant dans leur terrain de jeu. Mais ce n'était pas elle. Rien d'autre qu'une vulgaire femme rencontrée dans un bar ou à n'importe quelle autre occasion qu'il avait ramené chez lui pour en faire l'une de ses innombrables conquêtes. Mais elle n'était pas Sheena. C'était finalement Edwin qui, lui même, avait brisé les propres règles qu'il avait instauré à l'attention d'une autre personne. Fragilisé, il était devenu autre sous les doigts bienveillants d'une Jackson créatrice.
A sa question, elle ne tarda pas à répondre avec sincérité. Après avoir émis un doute, après avoir craint de parler, craint qu'il ne l'écoute, Sheena se lança. Courageuse au possible, elle avoua tant de papillonnements qui troublaient le calme de son corps et de son esprit, elle osa mettre à plat ce qu'elle ressentait pour Edwin. Toujours soucieuse de ne pas en dire trop, craintive et tendre, c'était bien la première fois que l'un des deux tentait l'expérience de la sincérité. La plus absolue des sincérités. Touché au plus profond de lui comme il l'avait été par les poignards de Sheena quelques minutes auparavant, dans ce parking obscur, il l'était d'autant plus par ces belles paroles. Des paroles d'affection et de tendresse, des paroles tout droit venues du cœur qu'il inscrivit dans le sien pour ne plus jamais s'en défaire. Elle disait penser à lui, tout le temps. Dans cette évidence, cette affirmation se vêtant d'une tendresse toute particulière, Edwin ne tarda pas à se reconnaître. Il ne connaissait que trop bien cette sensation parfois désagréable, cette façon qu'il avait de ne songer qu'à elle, de la voir, partout, de la vouloir, constamment. Désagréable, d'accord, mais il aimait s'y complaire tout autant qu'il adorait se noyer dans le gris de ses yeux. Les mains qu'elle posa sur son torse firent naître un léger sourire sur son visage. Un sourire qu'il accompagna d'un main délicate posée sur la sienne. Il ne tarda pas à accéder à sa demande, à la serrer fort contre lui, si fort qu'il aurait voulu, une nouvelle fois, ne jamais la laisser partir. Il perdit son visage dans ses cheveux, humant leur odeur délicieuse qu'il croyait sentir dans ceux de toutes les filles maintenant. Il aurait pu avoir peur. L'Edwin des autres, l'Edwin que Sheena n'avait pas encore touché aurait été terrifié. Il serait parti, sans mot dire, pour ne jamais revenir et ne plus jamais penser à elle. Pas le moindre regard en arrière, pas le moindre regret. Là, ce serait mentir que d'affirmer qu'aucune peur ne traquait son cœur pour s'y engouffrer amèrement et faire revenir en lui ses vieux démons, ses vices que le simple regard de Sheena avait suffit à faire disparaître. Pas entièrement, pour sur. Mais suffisamment, en tout cas, pour qu'il se permette de la serrer fort contre lui, et que par ce contact, sa peur s'estompe. Immédiatement. Naturellement.
Lorsqu'il reprit la parole, il était sur de lui. Desserrant son emprise sur Sheena, s'emparant d'une de ses mains, il ne tarda pas à ouvrir la bouche. A apaiser l'angoisse et l'appréhension qui, très certainement, devaient tarauder l'esprit de la demoiselle, faisant naître en elle de multiples questionnements, hypothèses, craintes et douleurs. « Apprends moi. » C'était un murmure. Un murmure vrai et certain, qui ne risquait pas de briser leur bulle dans lequel s'était placé le "nous" dont ils parlaient, mais qui possédait suffisamment de force pour prendre le goût de la certitude. Edwin ne doutait pas. Il ne doutait plus quand il vrillait son regard dans celui de Sheena. Elle avait ce don sur lui, cette magie incompréhensible qui semblait ne pas pouvoir être défaite. Aucun sacrifice ne le pourrait. Aucun autre sortilège. Rien. Rien d'autre qu'elle. « Je ne te promets pas d'être un excellent élève, mais je veux essayer. Je le veux. Sincèrement. Pour nous. » Il passa sa main sur sa joue, joua avec ses cheveux blonds, luttant contre ce désir qu'il sentait poindre en lui. Le désir de la nouveauté, celui de l'expérience jamais tentée, celui d'un essai pour lequel il serait prêt à se battre. Il ne promettait aucune finalité. Il ne le pouvait pas. Il espérait simplement, sans douter une seule seconde que Sheena soit une excellente enseignante, mais en doutant de lui. En craignant qu'il ne soit pas capable de mener à bout cette expérience, que ses vices reviennent à l'assaut, avec forts armements technologiques, et qu'ils détruisent sans peine sa carapace déjà lourdement fragilisée. « Et si je souffre, si je ne veux plus, si je manque de faillir, je compterais sur toi pour me redonner l'envie comme tu sais si bien le faire. » Edwin lui offrit un véritable sourire. Il aurait aimé lui dire tant d'autres choses, lui parler de ce manque qui le bouffait éternellement, de cette affection si puissante qu'il avait fini par éprouver pour elle, de la stupidité de ces répliques d'antan lorsque, incapable d'imaginer ne serait-ce qu'une once d'amour dans son cœur de pierre, il s'était cru invincible. Mais les femmes, parfois, dévoilaient bien plus de ressources que ce qu'il avait cru possible. Et Sheena, détentrice d'une flamme qui ne voulait pas s'éteindre, savait toujours faire de lui un homme épris. Dans son absence, dans son lit, dans son regard comme dans sa fragilité et sa tendresse.
Sheena T. Jackson
◭ messages : 1772 ◭ arrivé(e) le : 27/12/2013
Sujet: Re: Edwin & Sheena => Je ne suis ni marionnette ni pantin. Non. Je suis un hochet. Mar 7 Jan - 1:38
Edwin & Sheena
« Edwin & Sheena => Je ne suis ni marionnette ni pantin. Non. Je suis un hochet.! »
Jamais. Jamais je ne me serais crue apte d’une telle franchise. Depuis Orphée, l’immonde égoïste qui piétina mon cœur à pieds joints sans plus de scrupule que l’avare refusant l’aumône à quelques croquants miséreux le soir de Noël, je me devinais immunisée contre les sensibleries des femmes en général. Leurs nobles émois infects, je les évitais comme la peste et le choléra, je m’en protégeai comme d’une maladie honteuse sentimentalement transmissible et je m’en préservais avec force et courage, ceux-là mêmes qu’on prête à l’accusé à tort le jour de son procès. Quelle déconvenue. À ma naïveté, j’oubliai que nul ne se prémunit contre cette malédiction qui transforme les loups en agneau. Se signer n’y change rien. Choisir une vie de débauche où l’on aguiche plus d’hommes qu’on n’en consomme n’est pas non plus un vaccin universel. Alors, aujourd’hui, dans cet appartement familier, bien à l’abri au creux de ces bras chéris et attendus, des vérités embarrassantes s’écoulent en cascade de mes lèvres vermeilles. J’avoue qu’Edwin me hante et qu’il me manque, qu’il est irremplaçable et qu’il m’est devenu indispensable. Je lui confie également que, peu à peu, il devient mon maître à penser, mon maître à agir. Je lui révèle qu’il est l’empereur de mon cœur et qu’il lui suffirait d’un mot, un seul, pour que je lui appartienne et finalement, comme ça n’était pas suffisant, je lui propose de transformer notre étrange histoire en un tout à résumer d’un nous.
Sombre sotte. Je tremble d’appréhension à présent et, sous le poids de l’opprobre et du regret, ma bouche se tord par confusion. La grimace est transparente, la panique est évidente et la douceur de sa paume contre la mienne et la chaleur de son sourire n’y changent rien. À l’idée de réveiller son dessein obsédant de liberté, sa peur irrémédiable de l’engagement, son besoin d’infidélité pour se sentir exister et sa loyauté envers mon frère, mon âme est larmoyante. Elle balise. Elle déplore mon manque de prudence et m’assaille de jurons blasphématoires qu’elle criaille plus fort que les lazzi de ma raison railleuse. Elle m’avait prévenue, elle. Elle m’avait avertie que mener ma carcasse jusqu’à cet appartement n’aurait dû être qu’une saugrenue audace. J’ai refusé de l’entendre et, pour peu, je m’en mordrais les doigts. Dès lors, je le supplie de délester mes épaules de cette croix accablante de doléances. Je le prie d’étouffer mes inquiétudes d’une accolade soutenue. Quelle délirante requête. Qu’il m’écoute et qu’il m’entende, en soi, relevait déjà de l’improbable. Il m’aurait poussé vers la sortie pour tant d’aplomb qu’à défaut de comprendre, j’aurais accepté le mériter. Pourtant, contre toute attente, il n’en fait rien. L’impondérable personnage répond à mes folles sommations en m’enveloppant de sa présence apaisante.
Si les doutes subsistent, s’ils assaillent toujours le tambour aux battements irraisonnés qui cognent fort, qui cognent encore et toujours, qui cognent jusqu’à me faire mal, je n’en suis pas moins envahie par une étonnante sensation de légèreté. Qu’importe sa réplique désormais, qu’elle soit dénuée de réciprocité s’il lui chante, je me sens étrangement bien, libéré de poids dense des faux-semblants. Tromper les autres est une chose, se mentir à soi-même une autre. Ainsi, je savoure. Je savoure cette proximité tant désirée. Je savoure le frôlement de sa respiration dans mon cou quand son faciès d’Adonis s’y cache à nouveau. Je savoure le mariage platonique de nos deux corps s’épousant sagement dans une infinie douceur. Je savoure chaque seconde offerte par mon imprévisible amant tandis que mes mains valeureuses frôlent le tissu de sa chemise. Mon empire pour sentir glisser sa peau sous mes doigts. Je n’en demanderais pas davantage. Je me contenterais de peu. Je n’ose tout simplement pas. Moi, d’habitude plus téméraire, refuse d’alourdir mes peines au cas où il infirmerait mon espérance nouvelle : celle de former un couple, atypique, certes, mais un couple tout de même.
Ce n’est ni un souffle fragile ni un chuchotement docile, pas même un murmure inquiet suggéré à mon regard malaisé suspendu à ses lèvres. C’est une promesse. La promesse d’un avenir. Le serment d’un futur à construire ensemble. Évidemment, l’entreprise est hasardeuse, j’en suis bien consciente et je sais la sentence par cœur : Dieu seul sait de quoi sera fait demain. Elle est valable pour tous cependant. Nous ne serons ni les premiers ni les derniers à vivre dans l’incertitude d’une fin heureuse. Pourtant, j’ai foi. J’ai foi en mes efforts et, par-dessus tout, en sa sincérité. S’il prétend vouloir essayer, je ne peux que m’y fier, car ses pupilles ne mentent pas. Elles ne jouent pas non plus. Elles sont criantes de vérité et j’en baisse un peu la tête. Désarçonnée par l’intensité de ce regard neuf, je ne sais quoi dire. Je voudrais trouver les mots justes pour le rassurer, les mots adéquats pour lui assurer que le veux aussi libre que moi. J’observe pourtant un silence presque religieux.
Tous deux dans l’expectative, nous attendions après moi. Lui, il espérait sans doute quelques mots rassurants. Moi, je voulais retrouver l’usage de mes moyens. J’étais comme paralysée, abasourdie par la for=ce de ces aveux. N’étais-je pourtant pas dans la même position quelques minutes plus tôt ? N’était-ce pas moi, à sa place, qui me dévoilait sans pudeur ? Pourquoi suis-je autant retournée alors ? Parce que, ce soir, je crains de ne pas être à l’hauteur ? Parce que j’ai la frousse, moi aussi, à l’idée d’avoir mal ? Parce que je suis nerveuse au point de m’en mordre les lèvres et de sourire timidement ? Parce que je n’ai plus qu’une envie : embrasser ces mains délicates qui glissent sur ma joue et qui s’amusent d’une mèche de cheveux ? Parce que, prisonnière de mon mutisme, je ne peux que répondre à ce désir futile ? Que je suis fascinée par la douceur de ses paumes contre mes lèvres ? Je n’en sais rien. Absolument rien. Je me souviens simplement avoir emprisonné ses joues dans mes mains froides. Je me souviens avoir posé mes lèvres sur les siennes comme le repris de justice qui retrouve sa liberté. Je me souviens également avoir tendu une main vers sa porte restée ouverte et l’avoir fermée pour nous plonger dans l’obscurité de l’appartement à peine éclairée par les lumières de la ville. Je me souviens n’avoir jamais quitté ses lèvres en déclarant, non sans humour et entre deux baisers que : « Tu souffriras parfois. Et moi aussi tu sais. Ce serait trop facile sinon. T’imagines comme on s’ennuierait ? Et puis, pour le reste, tu peux compter sur moi. » Car je n’ai pas l’intention de le laisser s’enfuir. Hors de question que nous échouons par ma faute. Mais, à défaut de pouvoir l’exprimer, je me presse contre lui avec, en plus de cette passion qui nous caractérise, la féroce détermination de le soulager du poids de ses angoisses « Je t’assure. Je ferai de mon mieux. Et puis, tu sais que je suis une tenace. Je ne lâche pas facilement l’affaire. » La preuve étant mon acharnement à lui arracher une nuit d’ivresse malgré les interdictions de Lloyd. Lloyd et son obsession maladive de m’éloigner d’Edwin. Lloyd et cette l’image un peu trop lisse de jouvencelle que je cultive pour ne jamais le décevoir. Lloyd et cette réaction que je lui devine s’il apprenait les manigances fomentées dans son dos. Plus tôt, j’imaginai parfaitement que taire mes propres angoisses serait le premier malus de notre relation. À présent, mon ainé m’apparaît comme un frein à dégripper urgemment, mais pas trop tôt. « Mais, je… suis pas certaine de pouvoir si je me retrouve avec mon frère sur le dos. Je sais que tu n’aimes pas lui mentir et je sais aussi qu’il te posera bientôt des questions s’il ne l’a pas encore fait. Et je tiens vraiment à ce qu’il ne sache rien de tout ça. Ce n’est pas par rapport à toi. C’est purement égoïste… je ne suis pas prête à le perdre lui non plus. »
Dérobée à ses pupilles, je me rappelle aussi lui avoir maladroitement annoncé que je devrais bientôt m’éclipser pour répondre à des impératifs parentaux. Or, je suis sciemment tentée d’omettre l’heure de mon couvre-feu pour profiter pleinement de ces « retrouvailles. » Je peine à le quitter. Pas après tout ça, pas après ces révélations et ma condition honteuse, bien que provisoire. En d’autres temps, j’aurais certainement pris la porte sans rechigner – hum – comptant sur le hasard pour nous rapprocher à nouveau. Ce soir, l’idée m’insupporte. J’avais l’étrange sensation qu’une fois cet instant avorté, plus jamais nous ne serions capables d’autant de connivence. De plus, j’appréhendais mon lendemain. Arrêter de vivre dans l’attente d’un mail, d’un texto ou d’un appel de sa part, penser à lui au petit matin jusqu’à ce qu’il se manifeste. Je pourrais me contenter d’un message sur Facebook tant que l’attention me prouve qu’il pense à moi, lui aussi. Jusqu’à présent, j’ai dû faire preuve d’une volonté de fer pour ne pas céder à l’envie de lui téléphoner pour feindre de prendre de ces nouvelles quand je brûlais simplement d’entendre le son de sa voix. Je devais lutter pour ne pas me souvenir, dans mes nombreux moments de solitudes, des détails de nos jeux de main, rougissant quelquefois, le maudissant de temps à autre. Pour y parvenir, je m’étais persuadée qu’il s’agissait d’une erreur. Mais, quelle erreur ! Elle est probablement la plus délectable et la plus douce qui soit. « Normalement, je devrais m’en aller, maintenant… J’ai eu la bonne idée de dire à ma mère que j’étais avec Orphée. Si je ne rentre pas, elle va lui envoyer la police. » balbutiais-je tout contre ses lèvres, peinant à les quitter, elles et la chaleur de ses bras. Loin de lui, il fait froid. « Rien que de penser que je vais devoir lui expliquer pourquoi je rentre dans un état si lamentable, je suis déjà fatiguée. » expliquais-je en référence à mon maquillage coulé, et mes collants fléchés sous ma longue robe. « Et puis, je n’ai pas envie de rentrer chez moi… » avouais-je sans en dicter les causes. À quoi bon, il le sait. Je m’efforce à quitter ses bras sans grande conviction. Je ne suis pas encore partie qu’il me manque déjà. Le contact de sa joue contre la mienne, mon front posé plus tôt sur le sien, tout est supplice et angoisse. Je me sens comme amputée d’un membre.
Le noir. Sheena avait plongé la scène dans l’obscurité en fermant la porte de l’appartement, pour ne plus laisser entrer eux qu’un calme olympien à peine troublé par les lampadaires lumineux qui surplombaient la rue. Le noir. C’était là qu’Edwin s’épanouissait le mieux, profitant de l’opacité ambiante pour oublier raison et morale. C’était là qu’il naviguait sur les océans tumultueux de l’alcool, là qu’il volait sur les délicieuses arabesques que formaient la fumée de ses joints en s’échappant docilement de ses lèvres entrouvertes, là qu’il s’échappait dans la perception de liquide brûlant coulant dans ses veines. C’était là aussi qu’il oubliait jusqu’à son propre nom, qu’il perdait son âme et la clarté de son esprit dans quelques délires fantasmagoriques dignes de Requiem for a Dream. Parfois, souvent, c’était dans le noir qu’il pensait. Perdu en réflexions sommaires, en raisonnements pointus et en méditations obscures, Edwin se découvrait de nouveaux penchants, de nouvelles tares, de nouveaux espoirs. Flirtant avec la lune, il lui arrivait souvent de ne dormir qu’aux premières lueurs du jour. La solitude ne le gênait pas le moins du monde, même s’il préférait, la plupart du temps, accompagner ses délires d’une femme à caresser, d’une tendresse à voler, d’une virginité factice à épurer. Pourtant, cette nouvelle source d’obscurité, offerte par une Sheena câline, apportait avec elle de nouvelles sensations. Celles de sentiments jusqu’alors inexploités, de promesses effrayantes car nourries de complications et de contrariétés. Pour elle, pour cette jeune femme unique qui ne perdait rien de sa beauté même dans l’obscurité relative, il était prêt à se montrer fort et vaillant. Pour elle, il prendrait les armes et se battrait face à son égo, ses désirs et ses habitudes. Il savait qu’il ne vaincrait qu’à force de courage et d’auto-persuasion, que ce serait un combat rude et sans véritable fin, un combat de tous les jours, une guerre sans merci dont il n’était pas sur de se sortir vivant. Mais ce qu’il craignait plus que tout, au final, n’était pas sa propre déchéance déjà bien entamée, mais l’angoisse d’entrainer sa jolie blonde dans sa chute. S’il échouait –comme le lui promettait cette petite voix intérieure maligne et vicieuse- alors il se perdrait. Mais surtout, surtout, il perdrait Sheena. Une issue intolérable et effrayante qui l’apeurait tel un chiot sous l’orage, qui l’agaçait de sa faiblesse et de sa couardise. Il craignait de s’abîmer, il craignait de l’abîmer, mais il craignait davantage encore de les abimer. Puisque désormais ils s’appliqueraient à former un « nous », alors ils devraient redouter de ne plus chuter seul.
Il goûtait à ses baisers avec tendresse, douceur, et une certaine pointe de malaise. Cette angoisse grandissante qui florissait dans l’obscurité l’effrayait. Elle en avait trop dit, il avait trop vite rendu les armes devant elle, elle s’était montrée trop convaincante et lui trop faible. Aisément, il avait accepté de disparaître au profit d’un autre, d’un nouvel homme qui serait celui de Sheena. Il ne regrettait pas, seule la peur le forçait à remettre en question ces chamboulements trop présents, trop importants pour être réels. Et si cette promesse demeurait celle de l’ombre ? Et si, dès les premières lueurs du jour, il oubliait tout (il choisissait d’oublier), au profit de la luxure et de la solitude, de l’immaturité dans laquelle il s’épanouissait autrefois ? Et si, loin de se projeter dans un meilleur avenir, il se rattachait à ce qu’il connaissait de mieux, à ce dans quoi il excellait, à son passé pour refuser d’avancer ? Double. Il n’était rien d’autre qu’un être double noyé dans son ambiguïté, fourvoyé par son amour du jeu et de la manipulation. Il voulait avoir perdu ses tares dans le regard de Sheena, il avait vu dans ce délicieux miroir un homme différent et meilleur. Mais une nouvelle fois, l’obscurité avançait en rampant dans son esprit, s’y installait, usant délibérément d’une place de choix pour y imposer ses idées. Et si tout cela n’était que chimère ? Et si c’était impossible ? Il demeurait, dans cette équation, une infime chance pour qu’il n’y parvienne jamais. Toujours perclus par cette incapacité chronique à voir les choses en face, adepte de l’aveuglement et de la surdité, Edwin ne s’était jamais mesuré au monde extérieur avec gravité et maturité. Il avait asphyxié son cœur et l’avait rendu de pierre pour ne jamais craindre la souffrance, pour ne jamais lui concéder la moindre petite victoire. Il l’avait crainte, l’avait respectée, puis l’avait bannie à jamais. Et Sheena la rappelait avec humour dans ses paroles, inconsciente de l’effroi que ce simple mot provoquait en lui, ce simple mot semblable aux monstres sous le lit d’un enfant un peu naïf et terrifié par la nuit. « Tu souffriras parfois. » Non. Non. Edwin, lui, ne s’épanouissait jamais mieux que dans la nuit. Ce qui le terrifiait, c’était les monstres de la réalité, ceux qui sortaient le jour levé pour le rappeler à son bon vouloir, ces obscurs phénomènes repoussants qui le voulaient obéissant et servile. Il ne voulait pas souffrir. La douleur, il la laissait aux forts, à ceux qui se montraient capables de la supporter. Sa faiblesse, il l’oubliait dans l’alcool, l’arrogance, la drogue et les filles. Il l’oubliait dans les clichés, devant ces appareils photos, captures d’un instant, d’une jeunesse éternelle et d’un moment à jamais ancré dans un autre univers. Un monde parallèle, à des lieux de la réalité qu’il s’amusait tant à fuir et que Sheena lui rappelait entre deux baisers.
Edwin savait bien que la simplicité n’était pas de mise dans une véritable relation, pas davantage dans là leur (encore moins, même, oserais-je dire). Il la voulait simplement différente. Mais… Et s’il n’était tout simplement pas prêt ? A nouveau, cette voix pernicieuse déposait son venin sur un cœur emprunt au doute. A ce doute mortel qui l’assaillait souvent, non, toujours dès qu’il s’agissait de Sheena. Il éprouvait de réels sentiments pour elle, il en avait, au fil du temps, acquis l’absolue certitude. Mais c’était bien tout ce dont il pouvait se targuer. Quant au reste, tout ce reste là qui s’inscrivait dans la réalité, il préférait l’oublier. A cet instant précis, il n’avait que deux désirs, intenses, cruels, vivaces et sadiques. Se prendre la tête entre les mains, hurler sa rage, faire disparaître ces foutus sons qui troublaient son esprit ; et oublier ses craintes dans les caresses, les plaisirs charnels et sensuels, enfouir sa tête dans le cou de la belle, respirer son odeur, s’en imprégner, offrir aux doutes la couleur de son arôme féminin et délectable. Il fallait qu’elle le rassure. Tel un enfant roulé au boule au pied de son lit qui appelle sa maman à la rescousse, il avait grand besoin de mots doux, de caresses tendres et passionnées, de « tout ira bien », « tu n’as rien à craindre ». Loin de pareilles consolations, Sheena aborda le sujet fâcheux. Lloyd. Lloyd. Surpris, amèrement agacé, Edwin se questionna longuement sur l’apparition de ce nom dans leur conversation. Inapproprié, tout autant que l’était la suite de la phrase, il lutta pour ne pas faire un pas en arrière, pour ne pas s’échapper de son emprise, pour ne pas l’abandonner à la fraîcheur qu’elle venait juste de susciter. Lloyd, la troisième partie problématique et inconsciente de l’équation. Meilleur ami bafoué d’un côté, grand frère trahi de l’autre, il n’était qu’un pauvre fantôme énigmatique qui avait, sans nul doute, sa place dans leur couple mais qui peinait à la trouver. Lui non plus ne s’inscrivait pas dans la réalité, il errait dans l’imaginaire, constamment au-dessus de leur tête, sans jamais avoir son mot à dire. Sans que jamais aucun son ne sorte de sa bouche pour troubler le silence de leur union. Edwin non plus ne laissa aucune parole percer les murailles de ses lèvres, il se contenta de répondre moins largement à ses baisers, et de n’émettre aucune objection à l’annonce de son départ imminent. La colère commença à le ronger. Celle d’être abandonné après de si dures paroles, celle d’être incompris, amèrement transparent, et méconnu de la femme pour qui il venait de faire de si grands sacrifices. Une amertume qu’il savait partiellement injustifiée, mais que l’obscurité décuplait, grandissant en même temps son envie d’oublier, de s’oublier, de les oublier dans le sexe et l’alcool, dans ce qu’il connaissait de mieux, et non dans ce puits infini qu’elle lui voulait franchir sans pour autant l’y aider encore.
Elle n’avait pas envie de rentrer. Il n’avait pas envie de la voir partir. Elle avait beau aborder des sujets fâcheux sans même imaginer le retour que cela pourrait inciter chez un Edwin complètement paumé, il ne voulait pour autant pas l’admirer franchissant le seuil de son appartement pour le plonger à nouveau dans l’obscurité. Seul. Odieusement seul. Il craignait désormais la solitude, apeuré à la simple pensée de ce qu’elle pourrait faire naître en lui. Soumis à ses doutes, dans la nuit et le whisky, abandonné à son pathétique sort de héros tragique à l’avenir obscur tout tracé. Pitoyable. Voilà ce qu’était devenu le grand Edwin. Pitoyable loque sacrifié aux doigts magiciennes d’une Sheena fatiguée, esseulé et abruptement sacrifié selon le bon vouloir de sa belle. Seul, il n’aurait plus aucun moyen de faire reculer les bataillons de l’obscurité et de l’angoisse. Et elle, elle demeurait totalement inconsciente à ce qui se tramait pourtant juste à ses côtés. Il ne pouvait l’en blâmer. Pourtant, il en mourrait d’envie. Edwin s’échappa de son étreinte en même temps qu’elle quitta la sienne. Recueilli par les bras nourriciers du froid et de la crainte, il ne posait sur elle plus qu’un regard emprunt d’incertitude et d’indifférence mordante. Un regard amoureux sur lequel s’était délicatement jeté le voile de la lâcheté. Il sortit une cigarette de son manteau avant de s’en délester, l’amena à ses lèvres, l’alluma, tenta de trouver en elle le réconfort qu’il n’avait su se faire apporter par la jolie blonde qui lui faisait face, dans toute sa naïveté et son inconscience. « Non, Sheena. » Un murmure. Un murmure qu’il offrit à la nuit, à sa belle, à lui-même. Un non qu’il lançait à son amertume, à sa colère grandissante, à ses peurs, à ses craintes. Un non qui avait pour seul objectif de faire reculer les assauts de la nuit, cette nuit qui apposait sur son cœur un drap presque macabre et dont il peinait à se défaire. « Tu n’as pas le droit de me dire tout ça, de me voir me mettre à nu pour toi, de te couvrir de promesses, pour ensuite aborder des sujets aussi difficiles de cette manière presque indifférente et t’enfuir ensuite comme une voleuse. » Ce n’était certes pas de sa volonté. Elle n’avait probablement pas le choix. Peut-être. Edwin aurait dû songer de cette manière, pourtant, il connaissait bien Sheena, son aptitude à la désobéissance et au vice, et l’imaginer rentrer tranquillement à la maison pour rendre des comptes lui paraissait un tableau factice et menteur. « Tu n’as pas le droit de promettre un ‘nous’ et d’agir comme si tu voulais le contraire. » Tu n’as pas le droit de me connaître si peu, envisagea-t-il de lui dire. Conscient de la dureté de cette parole, il parvint à s’en abstenir. Que Sheena ne perçoive pas le malaise qui taraudait son âme le dépassait, qu’elle ne fasse rien pour y remédier plus encore. Elle aurait du savoir et comprendre, imaginer tout du moins, le mal-être que pouvaient provoquer en lui de tels sujets, de tels changements, de telles promesses d’un lendemain nouveau. Non. Elle agissait comme s’il venait de lui demander l’heure, non pas comme s’il venait d’abandonner une vie faite de facilités et façonnée d’aveuglement et d’ivresse, pour ouvrir les yeux sur un amour naissant. Pourtant, c’était bel et bien ce qu’il venait de faire. Pour elle.
Sheena T. Jackson
◭ messages : 1772 ◭ arrivé(e) le : 27/12/2013
Sujet: Re: Edwin & Sheena => Je ne suis ni marionnette ni pantin. Non. Je suis un hochet. Sam 18 Jan - 1:01
Edwin & Sheena
« Edwin & Sheena => Je ne suis ni marionnette ni pantin. Non. Je suis un hochet.! »
La culpabilité. Mal pernicieux qui prend possession de mes désirs. Funeste sentiment qui habille mon cœur des sombres apparats de la peur. Vicieuse émotion qui me rend égoïste. Je ne souffre d’aucun remords d’avoir abandonné Orphée aux noces de Marlon. Je ne regrette nullement le sacrifice d’April à cette foule assoiffée de ragots. Je ne songe qu’à mon frère, son affection, son aigreur, sa déception et sa fureur devant ce tableau outrageant. Une Ève supposée croquant dans la pomme de l’amour, goûtant au fruit défendu dans les bras d’Edwin, le meilleur ami, le confident, celui que mon frère ne juge pas pour son mode de vie, mais qu’il respecte pour ses mérites. L’unique être non lié aux Jackson par le sang, mais par préférence. Il est celle de mon frère. Il est surtout la mienne. Je tiens au jeune homme, peut-être un peu trop. À lui seul, il rassemble toutes les qualités que je cherchai inlassablement chez un prétendant. Fier, indépendant, partenaire de jeu excellent, notre association est évidente, et il en devient mon joyau. La récompense d’une quête fatigante. Le faire-valoir de ma détermination et de mon obstination. J’ai voulu qu’il me remarque, qu’il me considère, qu’il m’accorde de l’intérêt autrement que par déférence envers mon frère. J’ai ardemment désiré ne plus être uniquement la sœur de Lloyd, l’intouchable, l’interdite. Et j’y suis parvenue. Au terme de nombreux efforts, de duplicité, de fourberies et de mesquineries, j’ai atteint mon but. Peu m’importe si le voyage ressembla à un pèlerinage et qu’importe si la traversée à deux prévoit d’être périlleuse, je prends le risque de voler trop près du soleil. Je prends le risque de m’épuiser à cette tâche de longues haleines. Par quelles imprudences ? Par quelles folies ? Je l’ignore. Tout ce que j’en sais, c’est la facilité avec laquelle Edwin mua mes vœux frivoles de débauche pour d’autres plus puritains. Accrochée à mes certitudes, j’ai confondu obsession et grand sentiment. J’ai été aveugle aux dangers, sourde aux mises en garde de mon cœur, j’ai fait fi de toute mesure et, aujourd’hui, je suis, malgré moi, prisonnière de sa tendresse, de ses caresses, de sa douceur et de ses baisers. Ses bras, désormais, sont devenus mon refuge et je peine à les quitter.
Loin de lui, je tolère à peine le froid mordant provoqué par son absence. Cette absence imposée par des peurs profondes. Je ne veux pas le brusquer, je refuse de l’obliger. Face à cette situation, je ne suis plus tout à fait moi. Plus tôt, sur le parking, la question du mannequin n’aurait recueilli qu’un mensonge. Altière, j’aurais prétendu n’attendre de lui que le plaisir du jeu. Fadaises innommables. A l’instant même où j’ai aperçu Jewell dans son appartement, j’ai souhaité prendre sa place. J’en ai rêvé. Je l’ai détestée dès la première seconde. Je l’ai jalousée à la seconde. Pourtant, trop vaniteuse, j’aurais pu conserver pour moi cette vérité honteuse, capable à elle seule, de provoquer ma chute. Toutes manifestations sentimentales m’étaient interdites concernant Edwin. Il avait été clair, net, précis. Alors, par quelle audace ou quelle folie me suis-je lancée dans cette périlleuse aventure qu’est le chemin de la sincérité ? Je ne réprouve en rien mon élan de spontanéité, je ne me désavouerais pas non plus. Néanmoins, je tremble. J’ai peur pour lui, pour nous et surtout, surtout, pour moi.
Une fois encore, ce désagréable défaut craché de la bouche fielleuse et chérie d’Edwin me rattrape à grands pas. Il revient comme la rengaine musée par mille musiciens : je suis une égoïste. Si je parle de Lloyd, si j’impose quelques boniments à l’être aimé, ce n’est pas seulement pour préserver mes secrets jalousement gardés. C’est aussi pour m’éviter l’opprobre auprès de ma famille, c’est pour ne pas risquer de perdre mon ainé, car je n’ai en Edwin et moi qu'une foi toute relative. Je ne suis pas à l’abri d’un regret, d’un désaveu et alors, qu’adviendrait-il de moi ? Qu’adviendrait-il de moi s’il me jetait à la porte de son appartement et de son cœur aux premières lueurs du jour ? Que deviendrais-je sans lui ? Sans ses bras ? Sans son affection ? Sans cette admiration présagée par l’abandon de sa liberté ? D’ailleurs, quand lui manquera-t-elle plus que moi ? Quand lui sera-t-elle à nouveau indispensable ? Dans la rupture, pourrais-je apprendre à le détester ? Pourrais-je seulement y parvenir ? M’emploierais-je à l’oublier en posant sur les plaies béantes de mon palpitant un pansement charnel avec un autre prénom à scander sans pudeur dans un ébat dénué de saveur ? En serais-je capable ? Triste à admettre, j’en doute. Ainsi, j’accepte sans discuter mes obligations familiales. Je déclare devoir partir pour anesthésier lâchement ma volubile anxiété. Elle chuchote inlassablement des litanies comme un péan, une hymne empruntant les couleurs de la gamme mineure des marches funèbres quand, paradoxalement, j’espère qu’Edwin me retiendra. J’aspire à ce qu’il souligne ma maladresse et me garde auprès de lui tandis que je ramasse mon sac à main traînant sur le carrelage.
Davantage par réflexe que par besoin, j’y ai cherché mon portable. Dix appels manqués. Trois texto. Cinq messages vocaux. Entre Orphée et ma mère, j’attrape des sueurs froides. Je me moque de l’un, je n’ose ignorer l’autre. Ainsi, je m’apprête à lui adresser une réponse rassurante quand le timbre du beau blond m’arrête d’un non ronflant. Un non inquiétant qui contraint mon regard, hagard, à se poser sur lui qui se déleste du poids de sa veste. Dieu ce qu’il est divin. Si l’atmosphère, embaumée par la fumée de sa cigarette, s’est rapidement alourdie, je me souviens tout ce qu’il m’attire. Je me rappelle que ces serments sont inédits tant pour lui que pour moi. Son propos m'en donne confirmation. Il n'y cache ni douceur ni tendresse. Sa voix transpire de reproches que j’assentis dans le silence. Edwin a raison. Je réagis comme une peureuse, une capricieuse, une idiote. Je ne me vexe pas. Non. J’entends. J’entends le SOS qu’il m’adresse avec dignité. Je l’entends tant et si bien que j’en reste coi. Cette fois encore, je ne pense qu’à moi. Alors, je pèse le tout, je choisis bien, et je m’abandonne aux conséquences de la désobéissance. Je procède donc avec méthode.
D’abord, j’ignore Orphée, je pianote quelques fadaises apaisantes pour ma proche anxieuse et je dépose fébrilement mon téléphone sur la table basse. Puis, résolue et déterminée, j’allège nos épaules du poids de l’incertitude. Si je dois présenter des excuses, j’exige qu’elle ressemble à mes audaces de la première fois. Ainsi, je chemine à sa rencontre et je récupère d’un geste lascif le mégot prisonnier de ses lèvres tentantes tandis que j’oblige son corps à épouser le mien si près, toujours plus près du sien. Il se creuse une place de choix à mesure que j’approche ma bouche de son oreille pour quelques aveux : « Il faut pas que tu aies peur Edwin. Ni de moi. ni de nous. Parce que tout se passera bien. Tout se passera comme nous le voudrons, comme nous l’aurons décidé. Je ne changerai pas. Pas tout le temps. Je ne me permettrai de m’exprimer si clairement que si tu souffres de mes maladresses. Alors, seulement, je te rappellerai que moi aussi, je peux me mettre à nu pour toi. Moi aussi, je peux faire des efforts. Et que non, je ne demanderai plus en agissant comme si je voulais le contraire.» Durant un court instant, je m’interromps pour un ruban de baiser. De sa tempe à son front, de son nez à ses lèvres, les miennes musardent sur sa peau douce tandis que mes mains, frondeuses, culottées, mais néanmoins confiantes, déboutonnent un à un les boutons de sa chemise. « Je m’en fous de Mon frère. Je m’en fous de ma mère. J'ai peur de les perdre, mais j'assumerai si tu le veux. Et tu veux que je te dise ? Tu veux que je te dise comment j'ai envie d'agir, pour que ça colle à ce que je te demande justement ? J'aimerais rester avec toi. J'aimerais vivre une nuit de débauche avec toi, une nuit qui me semblera moins interdite que les autres, j'aimerais m’endormir épuisée à tes côtés et je veux me réveiller la tête en vrac près de toi. j'aimerais avoir du mal à te quitter et j'aimerais que tu me demandes de rester, j'aimerais qu’on s’enferme dans une bulle qui empêchera la peur de nous rattraper. j'aimerais qu’on quitte tes draps à 20 h, ou peut-être à 16 h pour un cappuccino ou pour une douche et qu’on les retrouve tout aussi vite parce qu’on n’oubliera nos obligations tant on sera bien. Juste bien. Je veux te répéter encore et encore que tout ira bien, que tout sera toujours parfait. Parce que je ne t’étoufferai plus après ça, qu’on sera peut-être un nous, c’est vrai, mais que tu garderas le droit d’être toi, que j’en profiterai pour rester moi. Je veux que t’y crois Edwin. Je veux que tu croies en moi. En mes promesses…et en les tiennes. » Un souffle sur ses lèvres qui s’achève par un baiser.
Il est neuf, inouï, tantôt timide, tantôt téméraire. Il avance, il offre, il recule, il reprend. Il n’a qu’un souhait : être cueilli en plein vol par une réponse passionnée. Ce baiser, il accélère les battements erratiques de mon cœur. Il me permet d’oublier la démesure de la caresse qui dévêtit, de l’effleurement lubrique d’une paume sur une épaule dénudée ou sur un torse qui se dévoile. Il soumet mon impatience aux souvenirs vivaces de la peau d’Edwin contre la mienne. Je me contenterais d’un frôlement un peu trop sage pour réveiller la convoitise endormie par nos craintes. Du moins, j’essaierai. Je ne suis pas assez forte pour m’opposer de front à tous mes désirs. Réprimer ce besoin obsédant de scander quelques mots tels que : « Je voudrais sentir ta peau contre la mienne » me semble bien assez insurmontable. Lutter contre ces tendres réminiscences aux couleurs chaudes des promesses m’est donc impossible. Alors, je laisse moi-même glisser la bretelle de ma robe, que le tissu s’échappe de mon buste. Je vais moi-même à l’encontre du sien révéler de mon propre fait. Et, si je cherche ses mains, si je contrains ses doigts à enlacer les miens, c’est pour qu’il m’entoure de ses bras forts et rassurants. Qu’il ne doute plus de rien. Qu’il rhabille son visage d’un sourire malicieux ou que ses yeux, malgré l’obscurité, brillent à nouveau de cette lueur taquine que je lui connais.