Le monde est ce qu'il est

c'est-à-dire peu de chose.

L'humanité était épaisse et lourde, lourde de chair, de sang, de souffrance, éternellement collée à elle-même comme tout ce qui meurt ; mais même le sang, même la chair, même la douleur, même la mort se résorbaient là-haut dans la lumière comme la musique dans la nuit silencieuse.


I. Crachat d'hémoglobine. J'repeins l'asphalte du sol. J'rampe comme un animal écrabouillé. L'corps disloqué se redresse car : pas d'autres choix, pas d'autres alternatives. Rouler des pelles au sol : non merci. « Matthysse, j'te pensais plus costaud » Sourire au coin. Les canines le rend carnassier l'sourire et la faim d'sang aspergé grouille. « T'me chatouille, tafiote ! » La phrase passe pas, ça casse. Les coups partent en avant comme une punition, susceptibilité de mâle. Mathysse – 1 Enfoiré – 0. La bataille est aussi verbale et moi, j'attaque sur les deux fronts. J'rigole intérieurement et extérieurement. A descendre les autres, j'y trouve mon propre plaisir. « L'un d'entr'nous doit finir à l'hosto et c'ne sera pas moi » A mes heures perdues, j'suis médium, prédictions fêlées que j'lis dans les jointures d'mes poings fermés. Jointures fermées contre son arcade sourcilière. BAM. Dégringolade et il continue d'pleuvoir des coups sur sa dégaine. Comme dirait l'frangin, Leandro : il fallait pas chercher la merde. J'suis fils d'Carmen et Rodrigo Mathysse. Couple de détraqués régnant en silence dans ce foutu monde qu'est l'football. Fan t'dis ? M'fait pas rire. En Argentine, l'football, c'une raison d'vivre. L'football est une raison d'péter la gueule à l'autre. Le club est une famille et nous son bouclier d'chair. J'suis Ezio Matthysse. J'suis néant et spectre. Prince déchu d'un royaume en perdition : La rue.  J'suis un Barra brava. J'suis et resterai un Boca Junior. C'dans mon sang. Elevé à la testostérone et aux coups,  à manier un ballon d'football au lieu d'peser mon derche sur un banc d'école, balancé tôt dans la décadence des matchs, suivant les traces du padre à la tête d'un club de supporters. J'ai bouffé d'la violence au quotidien quand paix, amour et fin du mois sévère étaient les mots maîtres à la maison : deux mondes, deux pôles différents. Passé les portes d'la barraque, c'est coups et blessures au nom des Boca Juniors, ma richesse « Tu t'es encore battu ? » « Ouaip. Un enfoiré d'River Plate » Quand Padre rend un sourire satisfait, Constanza râle et grince d'la mâchoire. L'dernière d'la smalla et celle qui en a rien à chié d'football. La paria d'la smalla mais demeure l'p'tite soeur, la p'tite princesse, l'mienne d'princesse. « Vous êtes tous des enfoirés peu importe l'camps. Vous êtes ridicules d'vous battre pour un vulgaire match d'foot et une couleur d'maillot » « Laisse béton, Conne-stanza ! T'pige keds » Allez un dernier pour l'route, juste pour l'faire chier « T'es qu'une femelle en même temps » Touché coulé. L'flacon d'mercurochrome, j'le mange en pleine gueule. Elle déballe son venin et j'rigole. J'irai m'faire pardonner plus tard, j'y arrive t'jours.

II. Ces longs ch'veux bruns, sa bouche pulpeuse souvent arqué d'un sourire taquin, ses yeux pétillants et gorgés d'insolence, l'regard qui t'envoie chier sans jamais un mot. Soledad. Désir et interdit en même temps. Remake bordélique d'un Roméo & Juliette, remake chaotique. Un Boca Junior amoureux d'une River Plate : rien d'bon en ressortirait sauf p'être nos orgasmes entre deux lunes, cachés comme des fauves pris en chasse. « Vous allez répondre à la provocation du club ? » « Question inutile, Soledad, t'sais d'jà la réponse » « Tu pourrais rester avec moi, dire que tu n'as pu te joindre à … » « Non, j'irais. J'ne laiss'rais pas m'famille s'prendre des coups sans moi » « Ce n'est pas ta famille, ils ne t'ont pas mis au monde, ne t'ont pas élévé » «P'être bien mais ils surveillent mes arrières à chaque fois, ils sont loyaux quand moi, j'viens te baiser alors j'irais » Les limites sont minces et pour les franchir il en faut peu mais pour les détruire complètement : j'suis Maradona. VLAN. J'essuie l'coup d'la gifle sans mot. BOOM. La porte claque et sa silhouette s'évanouit dans l'nuit. Le bordel est endiablé d'on et d'off. C'soir, c'un off qui dur'ra jusqu'à qu'l'un cède au manque, cède à l'envie en mettant un uppercut à ses remords, à sa culpabilité d'trahir son clan. C'p'être ça qui rend l'tourbillon si dévastateur : la culpabilité et l'interdit. J'suis d'venu accro à une succube aux multiples visages : ma mujer, l'affreuse qui a réussit c'qu'aucune n'avait réussis jusqu'à lors, mon ennemie.
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« Puisque t'as souillé quelque chose qui m'appartient, je vais salir quelque chose à laquelle tu tiens, Matthysse » La sentence est tombée sur la p'tite princesse qui en a toujours rien eu à faire d'tout c'bordel. Dommage collatérale, ma bavure, ma conn'rie. Ma soeur, ma chair, ma princesse, disloquée, éparpillée, punie par ma faute, punie parce que j'ai aimé. L'honneur est éraflée, la dignité écrasée. Ce sont l'poings qui partent arracher du respect quitte à faire dégueuler d'litres d'vermeil. C'n'est plus une histoire d'football ni d'club, c'devenu bien plus qu'ça : une affaire personnelle. Vendetta lancée, la machine est mise en route « J'veux qu'tous les suçeurs qu'ont osé toucher Constanza voient leurs mains hors usage : faites preuves d'imagination mais l'fils du président est mien ! » Les Matthysse et ceux par adoption partent en croisade. La guerre est déclarée et aucune armistice n'aura lieu jusqu'à que l'honneur soit r'conquis par la force.

III. Taupe, il y a une p'tin d'taupe dans nos rangs. Nos faits et gestes sont parés d'avance : c'la mierda. Tout part en fumée, tout n'devient qu'cendres, les cocktails molotov fussent d'toutes parts. « Esta mierda es mierda » Leandro sue sang et eau et le QG part en fumée. « Où sont mes darons ? » Leandro a l'regard voilé, l'visage fermé, j'devine l'issue fatale. Le corps s'improvise pompier, l'peau, l'uniforme anti-feu. « Ezio, n'y vas pas ! » Aucun frein, il s'agit d'sauver ce qui reste, sauver ce qui a  t'jours été là d'puis l'commencement, d'puis ma naissance. Ceux qui sont à l'origine d'ma venue sur terre. La princesse déchue, elle s'accroche, enfonce ces ongles pour m'faire rester. « Lâche-moi, Constanza, merde ! » « Non, toi, lâche l'affaire. Ils sont bloqués et le chemin vers eux est ravagé par les flammes. J'ai perdu assez de personnes pour ce soir ! » Grognement sourd s'fait entendre. Rien à foutre jusqu'à qu'la princesse parvient à ses fins. Elle sait y faire. Regard mouillé et tristesse pure ancrée sur le visage « Je ne veux pas te perdre toi aussi » Carajo ! L'étau s'referme, m'étouffe l'gueule. Il n'reste qu'à contempler les carcasses d'souvenirs s'faire bouffer par les flammes. Finito. La main se lève pour essuyer la suie formant un masque d'raton-laveur sur l'face d'la soeurette. « Rentre à l'maison et fais tes valises » « Pour aller où ? » « Aux USA. Nous sommes les derniers Matthysse et c'trop dangereux qu'on reste ici. Leandro, reste avec elle, j'reviens » « Tu vas où ? » « Terminer un truc »

IV. Planté dans l'avion, l'sommeil n'vient pas. Ce truc refuse d'sortir d'ma tête, ce truc, elle. Toutes ces facettes s'sont évanouies pour n'laisser qu'la gueule d'l'ennemie en ligne d'mire. La taupe, elle, obligée. J'y repense encore et encore « Je suis désolée, amore mio » Amore d'mon cul ouais ! « Je voulais pas que tout cela arrive » Le bras s'défait son emprise, m'salis pas à m'toucher, pute. « D'puis l'début c'ton père qui t'a envoyé en mission ? » Silence. Silence d'coupable « J'te cause, Soledad » Dans son r'gard, plus une once d'insolence, une odeur putride d'coupable qui semble hurler des désolés mais j'en ai rien à chier d'ces désolés. Adios puta. Et comme à chaque fois qu'on tourne l'dos à un ennemi, il faut l'faire embrasser l'sol. Ce truc est une River Plate et n'fait pas exception à l'règle. Point à la ligne. Poing dans l'gueule. « Ezio, regarde ! On est arrivé ! » L'oeil tombe sur l'vaste territoire américain à travers l'hublot. Notre nouvelle maison, la terre où l'vengeance s'construira. Rien n'prédit une paix et pourtant le prénom Maëlys semble être un synonyme malgré moi. Mon dico, j'le fous au feu, c'd'toute façon là où finit chaque Matthysse ...