l'étincelle dans son regard est intacte, mais elle a comme un faux contact dans le sourire.
Faut croire que c'était foutu d'avance. Qu'elle était destinée à avoir une vie de merde. Pourtant elle est pas malheureuse la gamine aux cheveux blonds. Elle pleure pas. Elle est même pleine de vie, le cœur en joie. Elle met des marguerites dans ses mèches de soleil en souriant à papa. Papa le seul qui est là. Et on sait pas où elle est celle qui l'a portée pendant neuf mois. Pourtant c'est pas rien neuf mois. Tout ça, ça rimait à quoi ? Se faire engrosser et tout laisser tomber. Partir sans se retourner. Non on ne sait pas où elle est ni ce qu'elle fait. Peut-être qu'elle fait le tour du monde. Tringlée dans un bar espagnol, violée dans un hôtel grec, tabassée sous la neige de Moscou. Peut-être ouais. Ou peut-être qu'elle a une belle vie. Un mari, des amis, une autre fille. Mais quand même, pourquoi ? Elle a pris ses clic et ses clac, sans laisser le moindre espoir d'un come back. Et papa qui rentre du boulot, qui se rend compte qu'il a eu tout faux. Qu'il n'y aura pas de belle maison avec trois enfants. Elle est partie, elle a mis à mal tous ses plans.
Mais papa il a peur. Peur d'aller dans la chambre de la petite Maïra pour découvrir qu'elle n'est plus là.
Mais non, flippe pas papa. Tu l'entends ? Elle pleure. Comme si elle savait. La garce était trop lâche pour s'encombrer du bébé aux cheveux dorés. Trop lâche pour l'élever comme tu l'as fait. Ouais, Maïra elle rit, elle sourit. Comme un petit éclat de vie. Maïra ça la gêne pas qu'à la sortie de l'école il y ait papa. Même qu'elle se dit pas que c'est bizarre que les autres courent tous vers leurs mères. Mais comme on dit tout est éphémère. Un jour Maïra grandit. Un jour elle a besoin de savoir pourquoi y a qu'un homme dans sa vie.
Pourquoi le souvenir de maman est tout noir ? Pourquoi elle est pas là pour faire des pancakes le matin ? Ben oui jolie Snow t'es petite et tellement conne. Tu peux pas t'empêcher de foutre ton nez où il faut pas. Alors la question lui échappe. Le regard de papa dérape. Il glisse déjà sur un océan de larmes.
«
Dis papa elle est où maman ? »
Il sait pas Maïra. Il saura jamais. Alors il se contente de te prendre sur ses genoux et de laisser passer. Il ne sait même pas quoi dire. Après tout, il n'y a rien à dire. Et puis le silence. Qui s'éternise. Maïra voit papa triste. Elle culpabilise. Et elle ne posera plus jamais la question. Plus intelligente que de raison. Elle comprend. Et c'est bien ça le problème.
c'était à la fois effrayant et rassurant de se confronter à quelqu'un d'aussi extraordinairement abîmé par l'amour ; un monstre de mélancolie qui se fait peur au point d'accepter sa condition de fille invisible...
Tic tac tic tac. C'est la mécanique du cœur qui se détraque. Maïra a le trac. Elle saute dans une flaque pour tâcher ses fringues à cent balles. Pour qu'il se fâche. Au moins il fera encore attention à elle. Il se détachera de
ses prunelles. Mais faut dire qu'elle a de beaux iris la donzelle. Ouais, en fait, elle est même plutôt belle. Papa se l'est déniché y a pas si longtemps. Il doit être amoureux. Pour de vrai. Et puis il a bien le droit. Il serait peut-être temps qu'il tourne la page. Et au fond elle est pas bien vilaine cette femme. Lui et blondie sont arrivés à un point où une présence féminine était plus que nécessaire. Mais le soucis, c'est qu'il y en a eu deux. Une de trop. Parce que la jolie madame Venety, elle a aussi une fille.
Hannah. Maïra le sait pas encore, mais Hannah va gâcher sa vie. Hannah l'ouragan. Hannah la trahison.
Maïra elle grandit et traîne Hannah comme le boulet de sa pénitence. Parce qu'il y a un truc qui va pas. Y a un truc qui marche pas. Ouais, Maïra elle pige pas. Y a comme un truc dément dans son regard. Mais personne ne le voit. Personne n'écoute Maïra. Hannah elle est jolie, Hannah elle est sympas. Elle a un sourire aux milles éclats. Alors forcément, tout le monde tombe dans le panneau. Même Rhett le salaud. Ce petit con suffisant. Mais Maïra elle est pas suffisante, elle. Pas face à Hannah. La garce. Elle piège le pauvre mec dans la cage de son cœur. Et elle regarde souffrir sa demi-soeur. Elle a réussi à l'avoir ouais. Rhett l'insaisissable. Rhett l'abominable. Et puis Maïra la minable. Il ne lui laisse rien d'autre qu'une marée de sanglots. Maïra s'effrite derrière son rempart de roc. Petite ado qui chiale des larmes de schiste. Pour la première fois, elle est vraiment triste. Dans son miroir, elle a le regard noir. Sous sa chemise, y a comme de l'érosion sur la falaise de son palpitant. Poupée d'albâtre aux milles brisures. Maïra devient mur.
ses larmes glacées ont rebondi sur le sol telles les perles d'un collier cassé.
Elle aurait pu aussi bien naître des flammes. La fille du diable. Démente, elle a le cœur qui crame. Snow fond à vue d’œil. La folie l'attend sur le seuil. Y a plus personne pour la sauver.
«
Je vous avais prévenu putain ! Je vous l'avais dit ! Mais vous êtes trop cons, vous êtes bien trop cons ! »
Maïra au milieu des ruines de sa maison. Paumée comme un ange de la déraison. Elle crie. Elle pleure. Elle crie. Elle meurt. Le peu de gaieté qui restait dans son organe flottant disparaît. Hannah la putain aux deux visages. N'a laissé derrière elle qu'un mirage. Un carnage. Hannah s'est enfuit. Mais avant ça Hannah a tout détruit. Maïra enrage. Papa et belle-maman sont penauds. Dégoûtés, médusés.
Putain. Ils comprennent vraiment rien. Ils disent que ça va s'arranger. Qu'ils s'en sortiront et qu'ils oublieront. Avec le temps. Mais Maïra elle veut pas oublier non. Elle veut se venger. Des tâches d'encre parsèment ses yeux limpides. Comme une gangrène, la haine l'entraîne.
Blondie plie bagage. Elle veut plus les voir. Et surtout, elle veut pas qu'ils la voient dépérir, trop occupée à courir derrière la folle envolée. Hannah l'obsédée. Hannah la tarée. La petite Austen ne laissera rien passer. Elle pourrait la tuer ouais. La torturer. Lui arracher les yeux pour les avoir posé sur Rhett. Lui casser les doigts pour avoir foutu le feu à leur baraque. Lui crever le cœur pour avoir crevé le sien.
Lui faire mal.
je suis mécaniquement vivant, puisque mes doigts bougent et que mes yeux clignent ; mais je suis rempli de vide.
Y a pas de chute à cette histoire. Maïra c'est pas la princesse débile d'un conte de fée. Y a pas un Prince Charmant qui est venu pour la sauver. Non, ils préfèrent tous la baiser. Parce que blondie elle est comme ça. Elle a plus rien à gagner, plus à perdre. Et qu'on ne lui parle pas d'amour s'il vous plaît. Putain l'amour c'est quoi au fond ? Un mythe merdique auxquels les plus cons veulent bien croire. Comme une rosée d'espoir. Sourire béat et palpitant en foire. Et puis un coup de désespoir. Maïra elle a pas de chance. Elle est lucide. Pourtant elle aimerait bien être conne. Être aussi ignorante et stupide que les éberlués qu'elle croise dans la rue. Elle aimerait bien ouais. Mais Maïra elle se tait. Et même elle se complaît. Un verre à la main, la farine dans le nez. Elle crache à la gueule de l'humanité. Parce qu'elle y croit plus.
Maïra petite fille perdue.