la petite histoire

the saints can't help me now

LOS ANGELES, 2009. « Tu vois le mec là-bas ? Embrasses le. » Je pointais mon doigt en direction d’un homme assis au bar, accompagné sûrement de sa copine. Ils avaient tous les petits gestes que les couples ont général. Un baiser par là, une main tenue par ci. Je savais que ce n’était pas bien. Mais c’était comme un petit jeu entre Kahena et moi. Un jeu auquel on jouait depuis plusieurs années déjà. La plupart des hommes prennent les femmes pour des objets, alors pourquoi pas le contraire? Un sourire malicieux se dessina sur son visage, et rien qu’à ça, je savais que ce serait du gâteau pour elle. « Trop facile. » Après tout, c’était nos 18 ans, il fallait bien les immortaliser.

PHOENIX, 2010. Je levais les yeux du magasine que j’étais en train de lire, quand ma mère prit place à côté de moi sur le canapé, suivie de mon père. Ils avaient l’air inquiets. Et tristes. Surtout tristes. Je fermais doucement le magasine, avant de m’asseoir un peu plus droite. « Qu’est-ce qui se passe ? » Je demandais presque en chuchotant. Mon père prit une grande respiration, comme pour se donner le courage de me parler. « Kahena a disparue. » Je fronçais les sourcils. Ma mère posa une main sur sa bouche pour retenir un sanglot. « Tu as du remarquer que cela fait déjà quelques jours que ta sœur n’est pas rentrée à la maison? » Mon père continuait. Je voulais lui répondre que ce n’était rien d’inhabituel, qu’elle était du genre à rentrer au bout d’une semaine voire plus. J’hochais simplement la tête, laissant mon père continuer. « La police est passée tout à l’heure…ils ont trouvé sa voiture au bord de la route, ainsi que son sac et ses papiers. » Je fixais mon père. Ma sœur jumelle avait disparue. Et vu la tête de mes parents, c’était loin d’être une blague. Elle était ma meilleure amie, celle avec qui j’ai tout partagé. Je restais silencieuse. Je ne savais pas quoi leur dire. Ma mère, qui avait les yeux rouges rouges rouges, me regardait en espérant peut-être que je lui dirais où elle se cache. Mais je ne savais pas.

PHOENIX, 2010. Je pouvais les entendre parler tout bas de là où je me tenais dans le couloir. Ils n’étaient pas très discrets. Je pouvais distinguer la voix de ma mère, qui disait à mon père qu’il avait perdu la tête. Je pouvais entendre mon père lui répondre que c’était la seule solution et que ce n’était plus la peine d’en discuter.  Je me demandais ce que mon père avait bien pu faire encore. Si c’était quelque chose de grave, ou quelque chose de stupide. Je soupirais en me disant que si ma mère n’approuvait pas, c’est que c’était sûrement quelque chose de sérieux. Je n’avais pas réalisé que je n’avais pas quitté ma place dans le couloir avant que mon père ne me parle.  « Ah Mayka, il faut qu’on discute. » Il attrapa mon bras et me guida dans le bureau. Ma mère avait décidé de quitter la pièce, refusant d’être mêlée à ça. Mon père m’expliqua que l’entreprise familiale commençait à battre de l’aile, qu’on était de plus en plus en difficulté financière, que ma mère et lui étaient obligés de vendre des biens pour pouvoir remettre sur les railles l’entreprise. Plus j’écoutais mon père, plus j’avais peur. Peur de tout perdre. Peur de devoir déménager, de devoir vivre en dessous de mes moyens. J’aimais mon train de vie, j’aimais le fait que je n’avais pas besoin de travailler, le fait que mon père ait pu survenir à tous nos besoins. Je ne voulais pas que ça change. Mon papa posa une main sur mon avant bras, avant de m’assurer qu’il avait un plan pour nous sortir de là.

PHOENIX, 2010. Déjà six mois que ma sœur avait disparue, et que la vie avait repris son cours normal. Aujourd’hui, c’était dimanche et mes parents avaient organisé un brunch à la maison,  avec une trentaine d’invités. Je déambulais parmi les invités, un verre de jus à la main. Mes parents m’avaient dit qu’aujourd’hui était le jour où je rencontrerai l’homme que je dois séduire. Séduire, un bien grand mot. J’étais à la fois excitée et anxieuse. Et si il était affreux? Et si il avait mauvaise haleine? Et si il était grognon? Et si, et si. J’avais repéré mon père, son ami l’avocat et son fils, au milieu de la foule et me dirigeais vers eux. Papa m'a dit que l'arrangement avec Monsieur Donnovan était ce qu'il pouvait nous arriver de mieux. Ma mère était retissante au début, mais elle a fini par accepter, même à m'encourager. Elle était comme moi après tout, elle ne voulait pas risquer de changer de vie. Je ferais tout pour eux, pour ma famille, de toute façon. Papa me sourit et me fit signe de me mettre à côté de lui. Il me présenta Monsieur Donnovan ainsi que son fils, Lhoas. « Lhoas, ravie de pouvoir enfin faire ta connaissance. » Je lui fis mon plus beau sourire. Il était plutôt pas mal, enfin de compte.

PHOENIX, FIN 2012.  Allongée sur le côté dans le lit, recouverte uniquement d’un drap fin, je regardais Lhoas dormir. Le soulèvement régulier de sa poitrine était apaisant. Deux ans déjà qu’on était ensemble. Je n’étais pas amoureuse, et il ne l’était pas non plus. Il faisait ce que son père lui disait sans y mettre trop d’effort. On se voyait régulièrement. On partageait parfois des bons moments tous les deux. Le sexe était toujours bien. Il n’y avait vraiment rien à redire. A part le fait que Lhoas est très mystérieux. Il ne parle pas beaucoup, ne s’ouvre pas beaucoup à moi. J’étais bien consciente qu’être forcé à être en couple avec quelqu’un que tu n’as pas choisi n’est pas ce qui peut arriver de mieux. Mais ce n’était pas si terrible. Je mettais donner pour objectif d’épouser Lhoas. Je me disais qu’au bout d’un moment, qu’on finirait bien par devenir complices, que quelque chose se passerait. J’obtenais toujours ce que je voulais de toute façon. Cela avait toujours été ainsi. Peu nombreux étaient les hommes qui m’avaient résisté. Je ne prenais pas non comme réponse. Lhoas se tourna et me fit face. Il ouvra doucement ses paupières, essayant d’ajuster ses yeux au noir qui l’entourait. « Hey. » Je lui souris gentiment et posa une main sur sa joue. Il ne rejetait jamais mes marques d’affection.

PHOENIX, MI 2013. « Je sais pas pourquoi on a pas fait ça avant! » Je lançais un petit sourire à Lhoas, qui se tenait appuyé contre l’encadrement de la porte, avant de déposer une pile de vêtements dans le placard. Il avait fait de la place pour mes vêtements. Un placard entier et tout un tas de cintres. Quand j’ai suggéré qu’on devrait peut-être emménager ensemble, il n’était pas contre, mais il n’était pas pour non plus. Au final, il a dit oui. Sûrement à cause de la pression que son père a du lui mettre, ou parce qu’il ne voulait pas me blesser. Je ne sais pas trop. En tout cas, j’étais bien contente d’être là. A 22 ans, il était temps que je quitte le nid familial. Quand j’étais plus jeune, je m’imaginais toujours qu’un jour ma sœur et moi emménagerions ensemble. Qu’on aurait notre chez nous, un endroit qui nous ressemble, qu’on partagerait jusqu’à ce qu’on soit forcé de se séparer. Le destin en a décidé autrement. Trois ans déjà qu’elle est partie. Trois ans qu’on ne sait pas ce qui lui est arrivée. J’espère qu’elle va bien, où qu’elle soit. J’espère surtout qu’elle est encore en vie. Penser à tout ça me rendait triste. Lhoas ne m’avait jamais rien demandé sur elle, et je ne lui avais rien dit. Une part en moi espérait qu’un jour on en parlerait. Qu’au moins on fasse ce que des amis font. Je secouais la tête pour faire partir ces pensées. Lhoas n’avait pas répondu. Je passais mes bras autour de sa taille et déposais un baiser tendre sur ses lèvres. « Tu veux manger quoi ce soir? »