Somebody to die for
Moa, cinq ans.
Tu te réveilles en sursaut, le souffle court et le cœur battant la chamade. Tu portes ta main sur ton front en sueur. Tu trembles comme un château de cartes sur le point de s’effondrer. Tu te sens proche de la fin. Tu t’es toujours sentie proche de la fin. La fin de quoi ? Tu sais pas trop. Si jeune et pourtant cette profonde sensation de non-existence. « Papa…me…tuer » tes premiers mots. Tes seuls mots. Tu pleures. T’as envie de crier mais t’en as pas la force. Tu fixes l’obscurité dans ta chambre, ton visage noyé sous les larmes. Tu viens de rêver que ton père voulait te tuer. Et ce n’était pas la première fois. Sûrement pas la dernière. Tu sais ce qui te reste à faire.

Moa, sept ans.
Garçon manqué qui est attiré par toutes les activités qui ne sont pas de ton sexe. Papa aime le football, alors tu t’y intéresse aussi. Il aime le sport en général, alors t’es devenue incollable sur le sujet. De même que pour les sciences, la chasse, les jeux de voitures. Pas de poupée, tu détestes ça. T’es un vrai petit gars maintenant. Papa est content. Il te frotte la tête avec sa grosse main affectueuse et tu souris. Toi aussi, t’es contente. Tu lui demandes de ne jamais te quitter. Pourquoi je te quitterai ? Je t’aime trop pour ça qu’il te répond. T’es la plus heureuse des petites filles. On la refait : tu es le plus heureux des petits garçons, après tout, papa t’as jamais vu comme une fille. Pour lui, t’as toujours été son petit gars. Tu t’en fous. C’est pas mal non plus les jouets et les vêtements masculins. Tant qu’il ne te regarde avec la même haine que dans ton cauchemar, toi ça te convient. Non, il sourit et rit même avec toi. Maman aussi. Tout est parfait.

Moa, onze ans.
Papa a menti. Papa est parti. Une dispute avec maman. T’as pas compris. De toute façon, t’as pas cherché à comprendre : maman avait tous les torts. Elle avait encore énervé papa, sinon il serait pas parti. Tu le sais. Il t’avait promis de rester avec toi. Pour toujours. Papa mentait jamais. Papa a menti. T’es perdue. Tu perds pied. Tu sombres, merde. T’as mal aussi. Personne pour te ramasser. Maman te tend bien la main, t’ouvres ses bras pour que tu viennes t’y refugier. T’en veux pas. C’est qu’une traitresse. Une traitresse qui était jalouse de ta relation privilégiée avec papa. Elle trouvait plus sa place alors elle l’a fait partir pour t’avoir que pour elle. Mais toi, tu t’en fous. T’en as rien à battre de son amour qu’elle dit avoir pour toi. Elle a jamais eu un geste tendre envers toi. Elle a jamais compté, qu’une décoration dans cette photo de famille. Papa, il te préférait toi. Si elle avait pas insisté, c’est sûr qu’il t’aurait pris avec lui. Il t’aimait trop pour te laisser, il l’avait dit lui-même. Papa a menti. Papa mentirait jamais. Tu le sais. Tu le sens. Tes tripes de petite fille adoratrice te le confirment.

Moa, douze ans et demi.
Un an que papa est parti. Tu sais plus qui croire. Tu sais plus quoi croire. Tu sais plus rien. Il répond pas à tes lettres. Il répond pas à tes dessins. Il répond à rien. Silence radio. Silence lancinant qui va t’accompagner toute ta chienne de vie. Hier, t’es sortie en douce. T’as traîné un peu partout en ville, sans doute cherchant un moyen de l’atteindre, lui, l’être éternellement absent. La sensation de sa main sur tes cheveux est tout ce qui te reste. Tout ce qui te permet de croire en son existence. Tout ce qui te permet de croire qu’un jour vous vous retrouverez. Il t’aime. Tu le sais, t’en es sûre. Il peut pas t’avoir oublié. T’es sûre que maman a pas envoyé aucune de tes lettres comme elle l’avait promis. T’es sûre qu’elle veut pas que tu le contactes. T’es sûre qu’elle est à l’origine de tout. Ca lui plait de te voir aussi mal. Elle te hait. Elle te jalouse. Chimère envieuse qui a jamais supporté de passer après toi dans le regard du paternel. Tu la hait tellement. Cette gentillesse hypocrite dont elle gratifie maintenant. T’en veux pas de ça. Tu dégueules volontiers dessus. Alors, tu prends la porte dès que tu le peux. Tout sauf rester là.

Moa, treize ans.
T’as mal au crâne. T’as l’impression que concert de rock a lieu là-haut. Tu sais plus où t’es. Tu sais plus qui t’es. Qui sont ces corps immobiles à côté de toi. Ni comment t’es arrivée jusqu’ici. Tu te souviens juste que t’as expérimenté les bienfaits de l’alcool. L’oubli. Tu te souviens de ce sentiment de légèreté qui a suivi. Ce sentiment d’invincibilité. Tu te sentais capable de tout accomplir. Le néant vorace qui semblait jusqu’ici avoir dévoré chaque petite parcelle de ton être s’était repu. Son hurlement s’était tu. La solution à tous tes problèmes résidaient dans une bouteille.

Blood, tears & gold
Braam
Don't leave me with the medecine
Aleksander