Quand il entre dans la salle, il trébuche. Il jure discrètement. La marche en trop, invisible là, dans l'entrée, personne ne se la prend sans pourtant la voir. Mais lui, toujours ! Il se redresse et passe une main dans ses cheveux bruns pour retrouver une contenance. Erre entre les tables sans vraiment savoir ce qu'il fout ici. Dans sa poche arrière, son portefeuille. À l'intérieur, il y a toujours l'alliance de Lola. Il ne l'a pas touchée depuis cinq ans, il est incapable de ne pas l'avoir sur lui. Comme un porte bonheur, comme une malédiction. Alors qu'est-ce qu'il fout là ? Il baisse les yeux, soupire, désire peut-être juste s'amuser. Soudainement, sans vraiment savoir pourquoi, ses yeux accrochent un visage. On dirait une poupée. Elle a l'air d'avoir dix-sept ans, tant l'innocence de son teint pâle encadré d'une chevelure flamboyante est flagrante. Sweeny frémit. Elle a un peu le même air d'ange rebelle qu'avant Lola. Tout le ramène à elle, toujours. Il serre les dents et soudain, franchit les quelques pas avant qu'elle ne le voie, visiblement, et s'assoit à sa table. Bon. Improvisation. « Bonsoir ! » fait-il avec un sourire chaleureux. Sincère. Il cherche à croiser son regard, posant ses deux coudes sur la table. Bon, et maintenant ? « Vous m'excuserez d'avance, je n'ai pas vraiment l'habitude de ce genre d'évènements. » confie-t-il en observant les alentours. En effet. Lui, il a longtemps cru à l'amour. Peut-être y croit-il encore, oui. Mais l'envie de s'y lancer ne l'attire plus. C'est à ça qu'il ne croit plus. Pauvre petit ange déchu. Cupidon t'a arraché les ailes et les a faites brûler. Elles t'attendent, là-bas, en enfer.

(désolée, je passe en "tu" aussi, ta plume m'influence. )

« Salut... » Toi, ça te fait sourire. On dirait qu'elle parle pour la première fois à un inconnu. Bon, en même temps, c'est pas tout le monde qui fait ça tous les jours. Dans ton boulot, c'est différent. Tu croises des regards, et les gens te racontent. Il a un nez un peu courbé. Des lèvres fines. Des yeux.. non, plus rapprochés que ça ! Ils te décrivent un visage. Celui d'un agresseur, d'un violeur, d'un meurtrier peut-être. Ces gens te sont inconnus oui. Et tu ne les revois jamais. Curieusement là, devant cette jolie rouquine, t'as p't'être pas envie que ça s'arrête là dans l'instant. Alors, tu lui souris. Parait que c'est le meilleur véhicule de bonne humeur. « Moi non plus, à vrai dire, je sais même pas ce que je fais ici.. » Tu lui offres un de ces sourires compatissants qu'on s'offre dans les salles d'attente des médecins. Un vous avez la grippe, moi la gastro, j'compatis quand même. Mais là, c'est différent. Là, vous avez l'air de deux étrangers à la recherche de la même désillusion. Tu vois bien, dans ses yeux d'un bleu pur et cristallin, qu'elle n'y croit pas non plus. « J'm'appelle Luna. » se présente-t-elle alors soudainement. Toi, comme un mongole, t'es toujours en train de sourire. Ce sourire, c'est ta meilleure arme. « C'est un surnom ? » Impulsivement, tu sors ça sans vraiment contrôler. Mais t'es comme ça, toi. Tu ne filtres pas. Tu répares, après, éventuellement. « Enfin, je n'dis pas ça parce que j'aime pas ! Au contraire, je trouve que ça vous va vraiment bien. Et ce n'est pas un stupide compliment juste pour faire joli. » Parce que Luna, ça lui va bien, à cette demoiselle. Une lune rousse. L'image est poétique. Presque trop fragile. Tu passes ta main dans tes cheveux. En fait, t'es un peu nerveux. T'as l'impression de pas avoir réellement le contrôle. Mais ça te plait. Ça te stimule. « Moi, c'est Sweeney. Mais on m'appelle souvent Swee' ou... Sweeny, même si ça fait un peu surnom d'un gamin de onze ans. Enfin, bref.. » Tu t'emmêles. Est-ce qu'elle te trouble un peu, la demoiselle ? Qu'est-ce qu'on s'en fiche, de tes surnoms, Sweeny. Toi qui as pourtant depuis cinq ans « l'habitude » de séduire, tu te retrouves là comme un cavalier à pied, qui n'sait même plus marcher.

(oh, merci )

« En fait on m'a appelé comme ça car il paraît qu'à ma naissance, c'est le seul prénom qui ne m'a pas fait pleurer... » Là, tu rigoles franchement. Ça fait un peu phoque parce que dans la salle, tu dois être le seul à exploser de rire ainsi, mais tu ne t'es jamais caché. Quand t'as envie de rire, tu le fais. De sourire, tu le fais aussi. De pleurer tu... ne le fais pas. « Eh bien tant mieux alors, parce que c'est un prénom très joli. » fais-tu sincèrement, en l'observant. Puis, tu te présentes à ton tour. Et, une fois n'est pas coutume, sa réponse te fait sourire. « Comme le barbier ? Cette histoire m'a toujours fait super peur ! J'aime beaucoup, même si tu fais pas autant peur, je te rassure. » En effet. Sweeney Todd. Allez savoir pourquoi est-ce qu'on t'a appelé comme ça, hein ! Peut-être que tes parents aimaient bien les histoires. Avec le p'tit aîné qui s'appelle Harry, c'est possible, après-tout. Tu l'observes s'approcher, pour finalement cacher ses mains. Tu ne comprends pas trop, toi. Enfin, Lola avait pour habitude de t'expliquer certaines pudeurs qu'ont les femmes. Tu n'accordais pas grande importance à ses mains, mais maintenant qu'elle les a caché, t'as envie de les voir, du coup. Tu te penches un peu en avant, le regard complice, le sourire taquin. Au passage, tu remarques qu'elle t'a tutoyé. « Tu m'en vois ravi, j'aurai pas aimé que tu me dises que je te faisais peur ! » Tu te laisses retomber en arrière contre le dossier de ta chaise. Chaise qui vacille un peu sous ton élan. Manquerait plus que tu tombes en arrière. Histoire de bien attirer les projecteurs du ridicule sur ta face. Tu te mordilles doucement les lèvres. Tu sais pas trop pourquoi, t'as l'impression qu'il ne faut pas laisser le silence s'installer, comme si ça gâcherait du temps. C'est censé aller vite, non ? Enfin, si t'as envie de squatter sa table toute la soirée, tu chasseras les autres bien fièrement, tiens. « Que fais-tu dans la vie ? » demandes-tu alors, avec un sourire rassurant.